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Pierre Bourdieu n’avait pas manqué de le relever dans La Distinction : la musique classique, à l’époque du sociologue et encore aujourd’hui, reste une pratique socialement marquée, et si elle passionne quelques jeunes, ils restent principalement issus de la bourgeoisie. Avec Aria da capo, la metteure en scène Séverine Chavrier tente pourtant le pari de nous intéresser autrement à ce répertoire, à travers les émois de quatre grands ados à l’aube de leur vie d’adulte. Dans l’intimité de deux chambres aux murs vitrés, les jeunes protagonistes se confient au creux du micro, partagent secrets et blagues salaces avec la fraîcheur évidente de dialogues composés au gré d’improvisations. Un paquet de bonbecs traîne sur le lit, l’un pianote sur son smartphone pendant que le copain révise ses gammes à l’instrument. Entre deux partitions, on s’échange des confidences autour des premiers amours, des réflexions toutes bêtes sur la vie, l’avenir, les autres. Sur la beauté, les envies de passion, de vivre un truc grand.


Dans le jargon de l’art lyrique occidental, une aria désigne une pièce de musique écrite pour une seule voix. L’aria da capo (« air avec reprise »), forme très en vogue durant la période baroque, a cela de spécifique qu’elle se compose en trois temps, laissant à son interprète tout le loisir de démontrer l’étendue de sa virtuosité. Elle aussi entrecoupée d’intermèdes musicaux interprétés par les jeunes comédiens – tous musiciens en formation –, l’aria de Séverine Chavrier instaure une familiarité tranquille avec les plus grands airs du répertoire classique. Dans la mélancolie d’un après-midi pluvieux ou d’une fin de soirée, la sensualité presque lascive des corps compose avec une juste délicatesse un érotisme à faire pâlir d’envie les plus licencieux, et injecte la fraîcheur du vivant dans un univers parfois plombé par un entre-soi poussiéreux. À l’hospitalité de la proposition s’ajoute le charme de l’étrange, matérialisé par ces masques de clowns perplexes que les musiciens passent chaque fois qu’ils exécutent un air. Dans la pièce de Séverine Chavrier, il ne sera jamais question de classe sociale, de privilèges ou de capital culturel : le temps d’une représentation, au rythme d’un air de piano ou d’un chant lyrique, chacun pourra se sentir un peu chez soi.


> Aria da capo de Séverine Chavrier du 18 au 22 avril à Nanterre-Amandiers

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