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Il se passe décidément quelque chose quand les jeunes collectifs d’acteurs se piquent de théâtre de boulevard. Et d’abord : la joie. Après le collectif OS’O, qui mixait frasques bourgeoises et réflexions sur la dette inspirée du sociologue américain David Graeber (Timon/Titus), c’est au tour des Bâtards dorés de s’aventurer du côté de ce genre, souvent boudé, avec un plaisir du jeu dont on aimerait être plus souvent spectateur. Adapté d’une pièce inachevée de Feydeau, leur Cent millions qui tombent est une fête pour comédiens, à vous en couper l’envie d’utiliser des adjectifs.

Tout commence donc comme un vaudeville, dans un salon, en compagnie du petit personnel, porte-parole de la satire sociale, tandis que la maîtresse de maison se prélasse dans sa chambre, son oisiveté et sa richesse. L’amant, le mari et le gag du placard ne tarderont pas à débarquer. Les codes du genre sont bien réunis, quoique poussés de quelques degrés dans l’ironie. Seulement, l’amant en question vient d’une autre fiction, plus contemporaine, quant à la porte du placard, elle emmène elle vers un autre univers, aux accents plus graves, presque inquiétants. Alors évidemment, tout finit par basculer. Et là, on serait bien en peine de raconter exactement ce qui se passe. Les visions hallucinées se succèdent, l’histoire revient à la case départ, se répète en légères variations. En résumé : la scène devient folle. En très mauvais spectateur, on a alors du mal à s’abandonner, on résiste aux images, aussi séduisantes soit elles et on s’acharne à essayer de créer du sens. Dans un accès de mauvaise foi, on se demande même si tout ça n’est pas qu’un grand délire légèrement narcissique.

Ce serait mal connaître la capacité des Bâtards dorés à toujours retomber sur leurs pattes. Pour ça, il leur suffira d’une image, la dernière. On entreprend alors pas à pas de revenir en arrière pour lire les indices glissés ça et là. À relier les clins d’œil au stand-up, à la télévision, au porno, le détour par les contes du moyen-âge et la projection dans un futur technologique sans âme qui vive, on se dit que Cent millions qui tombent pourrait se lire comme une tentative de retraverser, en accéléré, l’histoire de la fiction (ou du divertissement ?) à l’échelle de l’humanité. La pièce prend alors des accents métaphysiques que les blagues potaches ne laissaient pas soupçonner... Que peut-on opposer à l’injonction à « faire quelque chose de sa vie » et à l’absurde de l’existence, interrogent-ils ? Ni l’engagement comme l’aurait affirmé Camus, ni la révélation divine comme s’y résigne Léon Chestov, le philosophe russe qui a combattu la raison. Mais peut-être simplement ce geste, aussi futile puisse-t-il paraître, d'écrire des histoires, de nommer cet absurde sans théoriser, mais en le mettant en scène et en forme, dans un grand bordel qui lui ressemble. Et puis d’essayer d’en rire, jusqu’à la grimace. Ils vous le diront en un pet plutôt qu’en mille mots : face à l’éternel retour, à l’irrationalité et à la déraison, il faut imaginer un Sisyphe à l’humour douteux.

 

> Cent millions qui tombent des Bâtards dorés, jusqu’au 22 septembre au Théâtre 13, en partenariat avec le Centquatre, Paris

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