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La rétrospective s’ouvre avec « la mise au mur » de Yann Marussich, instaurant par ailleurs un parallèle avec l’affichage, sur un mur adjacent d'une projection vidéo de ses performances solo. L'artiste littéralement à l’œuvre, à l'arrière d'une plaque de Plexiglas encadrée, claustré sous un « ciel bas et lourd [qui] pèse comme un couvercle » et dont seules les mains parviennent à s'échapper. Un cachot qui ne tardera pas à être humide. Une autre correspondance est mise en jeu la présence d’un système d'étau dans lequel une tomate est elle aussi prise au piège. Sans instruction et avec pour seule indication les clés plates accrochées au mur, le public est laissé libre d'agir. Il y a les audacieux qui se lancent, serrant les écrous qui enserrent le fruit plus ou moins rapidement, les impatients, pressés d'en finir ou encore les contemplatifs.

Nombreuses sont les œuvres de Yann Marussich où le public est invité à participer, éveillant par là ses pulsions, tiraillées entre Éros et Thanatos. À l'extraction du jus de la tomate répondent les sécrétions de l'artiste, fruit de son Ex-pression. Ces sécrétions créent une transparence au point de contact du corps nu avec la plaque rendant ce tableau semblable à un négatoscope, ces vitres rétro lumineuses qui permettent de lire les radiologies. Ici pourtant, l'objet à visualiser n'est pas apposé sur le support mais se situe sous celui-ci ; à la perception des structures internes se substitue celle de l'enveloppe charnelle.

 

L’œuvre Bleu Remix s’articule également autour de cette dichotomie visible/invisible et est envisagée comme un prolongement de Bleu Provisoire : pièce manifeste faisant intervenir pour la première fois l'immobilité. Devenir immobile, le titre de cette rétrospective, sonne comme un paradoxe en apparence seulement. C’est en effet de cette immobilité que découlent les micro-mouvements rendus patents par les manifestations du corps et accentués par la coloration des sécrétions due à l’absorption de bleu de méthylène. Comme dans un amphithéâtre d'anatomie, l’artiste offre une vision à 360° de son corps presque entièrement nu. La table de dissection n’est d'ailleurs pas si loin, elle s'est muée en assise épousant le galbe du corps. Bleu Remix souligne la perméabilité de l’enveloppe corporelle, ébranlant de fait le mythe du corps-forteresse, la sacralisation d’un corps tout à soi dans lequel se retrancher.

Ce démenti du corps comme dernier rempart entre soi et l'autre, trouve sa démonstration dans Autoportrait dans une fourmilière. Dans une cohabitation poussée à son paroxysme, le corps de l'artiste couché dans une vitrine abritant une fourmilière, devient une architecture à part entière, l’environnement d’autres organismes vivants. Les enregistrements des sons stridents émis par les fourmis, inaudibles sans l’appui de la technologie, révèlent les limites du corps humain ; un coup de plus porté à la croyance en l’omnipotence de l'homme.

Ses expériences témoignent également du décalage entre le danger tel qu'il est perçu par le public, et le danger réel. Ainsi, dans Bain Brisé, l’artiste entreprend un cheminement pour s’extraire d’une baignoire remplie de verre pilé. Mais ce n’est pas tant dans le risque de coupure que dans la légèreté illusoire de cette masse de verre de 600 kg que réside le risque.  La lenteur de ses gestes instaure rapidement un nouveau rapport au temps. 

Immobilité ne rime néanmoins pas avec immobilisme. Yann Marussich tire des enseignements de son exploration des limites, physiques comme mentales. La pratique méditative lui permet de mettre à distance la douleur et d’atteindre un état de transcendance, proche de l’ataraxie. Il puise notamment sa nourriture spirituelle dans les philosophies orientales et les arts martiaux. Cette entreprise de dépassement ou d'absorption de la douleur est une façon pour lui de s’opposer à un pan de la médecine qui s’évertue à supprimer la souffrance plutôt que de la faire accepter. 

 

 

 > Yann Marussich, Devenir immobile a été présenté du 20 au 28 janvier au Lieu unique, Nantes

 

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