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Il faut, paraît-il, écrire avec la partie de soi qui fait honte. Avouons donc, confuse, qu’en sortant de Crash Park, c’est le clip d’une vieille chanson de Mikey 3D qui revient fugacement en mémoire. C’était en 2003. Et sur M6 entre trois pubs, on pouvait voir une fillette manga quasi défoncée à la nature, courir comme une dératée dans une prairie aux couleurs criardes. À cette gamine, Mickaël Furnon intimait d’une voix monocorde : « il faut que tu respires ». 3 minutes 30 plus tard, il fallait bien se rendre à l’évidence que l’herbe, les ruisseaux et les papillons n’étaient que le produit d’une simulation grandeur nature offerte par un parc d’attraction futuriste.

Le Park conçu par Philippe Quesne est plus paradisiaque que bucolique. Une île, avec tous les attributs du genre : cocotiers, bananiers, cadavres abandonnés et volcan cracheur de feu. C’est là que les sept survivants d’un crash aérien se retrouvent catapultés, bien obligés d’apprivoiser ce nouvel espace à habiter, et tant qu’à faire en communauté. La pièce commence sur les notes d’un piano jouant tout seul. C’est déjà mauvais signe, mais on ne s’en rend pas compte tout de suite. Bien vite, la musique composée par Pierre Desprats prend le relais et installe une atmosphère ironiquement à cheval entre le blockbuster hollywoodien et la super-production Disney. À se laisser guidé par la BO, on switch allégrement du film de zombies, à Koh Lanta, en passant par le Roi Lion et Christophe Colomb : La découverte. Too much, mais réjouissant. Un peu de sens se cache là aussi, mais il faudra encore attendre pour le savoir.

À vrai dire, il ne se passe pas grand-chose au cours de cette euphorique robinsonnade. Une économie d’action qui ne fait que renforcer le caractère symbolique de chaque segment, comme l’ultra-singularité des gestes portés par le formidable casting de comédiens. Il n’y a qu’à les voir traverser un à un les flots pour rejoindre l’île pour s’en convaincre : l’un y va d’une caricature de Rahan, l’autre d’une conscience maniaque, une troisième sans grâce, mais efficace. Une petite société formée d’atomes divers se dessine pour réinventer une forme ancestrale de spectacle – où chaque interprète est aussi spectateur, et vice-versa – avant de redonner un peu de sens à la fête. Sur l’île de Crash Park, la vie est insouciante, les danses et les chants nombreux, les images fascinantes. On rit, beaucoup, jusqu’à penser qu’un peu de légèreté, au spectacle, c’est quand même agréable. Que ce serait même peut-être devenu un luxe.

Sauf que ça commence à grincer. Des signes, par-ci par-là : le panneau propriété privé à l’entrée de la grotte-bar, l’apparition d’un petit despote qui change les danses rituelles en chorégraphie Club Med, la présence de Bruno Latour dans la bibliothèque communautaire, ou la procession funéraire de la pieuvre qui se change en pique-nique grotesque à même la carlingue de l’avion. Alors, l’image de cette femme qui fume sous les étoiles se voile d’une nostalgie lancinante, et on finit par les trouver bien inconscients, nos Vendredis, bien apolitiques aussi, de danser ainsi sur les ruines d’un paradis perdu. Un instant, on oublie que dans l’art de Philippe Quesne, la fiction finit toujours par se révéler pour ce qu’elle est. Et l’imaginaire par nous faire atterrir de plein pied dans la réalité. Ils peuvent bien picoler nos Robinsons, tout pour eux est déjà plié. Il ne reste qu’à ces playmobils grandeur nature de ranger leurs jouets et partir sur la Lune. Cette île aussi n’était que le produit d’une simulation offerte par un parc d’attraction post-apocalyptique. À ceci près que nous ne sommes plus en 2003 : respirer ne suffira pas à éviter que le futur de la Terre se joue sans les hommes. Et que les pianos poursuivent seuls leurs mélodies.

 

> Crash Park de Philippe Quesne, jusqu’au 9 décembre au Théâtre Nanterre-Amandiers

 

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