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Le mois de mai signe le début de la trêve estivale pour les étudiants, qui, à Porto, paradent dans les rues en cravates, chemises blanches et longues tenues noires tombant jusqu’à leurs chevilles comme sortis de l’univers d’Harry Potter. La petite histoire nous informera que J.K. Rowling séjournant dans la ville pour l’écriture de son succès, s’est précisément inspirée de la praxe, série de rituels pratiqués depuis le Moyen-Âge par les étudiants portugais. Cette longue cape sombre sans âge est aussi le costume que semble arborer la chorégraphe Ana Rita Teodoro dans Assombro. Tremblante, toute en frémissements, enveloppée dans ce drap noir, sur des petits talons et avec une fleur blanche sur la tête, elle avance comme dans un film muet entre l’encadrement de deux rideaux sombres. Sa voix a capella rompt le silence. En empruntant les chants populaires de femmes portugaises, elle fait transiter leurs fantômes dans une succession de tableaux vivants.

Tantôt religieuse manipulant une ficelle blanche comme un chapelet, tantôt amante masturbant robotiquement un sexe fabriqué dans l’étoffe noire enroulée par la ficelle, tantôt mère dorlotant ce pénis sitôt transformé en bébé, ou danseuse de cabaret aux tétons masqués de croix blanches empoignant ce bébé devenu micro, Ana Rita Teodoro raconte beaucoup d’histoires avec peu de choses. Elle s’amuse du décalage entre le son et ses gestes. Elle garde littéralement la face quand elle entame un chant étalé avec un grand sourire et un visage impassible : « La marionnette du ventriloque est souvent comparée à une voix intérieure, celle qui dit ce que la personne pense tout bas. Dans les chansons populaires, les paroles sont aussi une façon de se révolter discrètement, l’une d’elles raconte comment cacher son amant dans le placard » explique t-elle. Alors, Ana Rita Teodoro, derrière ses mimiques, son corps disloqué comme un tableau cubiste, une voix hors du temps qui sort de son ventre et passe entre ses dents serrées, rend hommage aux petites victoires quotidiennes de ces femmes portugaises.

 

Sous le théâtre, la roche

Dream is the dreamer déclare quant à elle la chorégraphe Catarina Miranda. Ce rêve dont nous sommes le héros commence dans le noir. Quelques pas indiquent déjà une présence. Et, quand la lumière fut : un homme, doudoune jaune poussin, sac poubelle à la main, sneakers rouges dont un talon plus haut que l’autre, nous accueille d’un « hello everybody ». Sur un dessin tracé au scotch orange sur le sol, telle une rose des vents, il éclate l’espace dans toutes les directions. Au sud, à l’est et au nord, derrière les murs du théâtre, se trouvent des bâtiments scientifiques, des usines, la mer et d’autres continents, nous dit-il. L’ouest traverse nos chairs, nos organes et « tout le reste ». Sous nos pieds grouillent câbles, fossiles, et roche, puis, au dessus de nos têtes le danseur détaille tout ce qui se promène dans la stratosphère, des projecteurs aux trous noirs.

 

Dream is the dreamer de Catarina Miranda p. Jose Caldeira

 

Quand le danseur se débarrasse de sa doudoune qu’il dépose au sol, celle-ci s’évade toute seule du plateau, tirée par une ficelle invisible. Il en sera de même pour tous les objets dont le danseur se déleste, histoire de se dire que comme dans les films d’animation Toy Story les objets ont une vie en dehors du destin inanimé qu’on veut bien leur donner. Dans la bouche du danseur, une histoire abracadabrante dont on perds parfois le fil : un personnage dans un grenier joue avec le feu et s’évapore, un ascenseur compresse le groupe en une seule masse qui atterrit dans un jardin centenaire. Dans son corps qui disparaît un long moment dans un sac plastique, jaillit une danse sortie des abîmes d’un club ou de l’imagination d’un chamane. Dans les airs, une épaisse fumée s’échappe d’un autre sac, et des sons vaporeux et industriels flottent avec sérénité. On retiendra de ce solo fluo, pop et Low-tech, l’envie avouée de déplier une scénographie vivace, et celle plus insidieuse de déplacer l’attention sur le mouvement des objets plutôt que sur le corps, quitte à oublier assez vite la danse de cet être humain.

 

Hips don’t lie

Un troisième solo féminin termine de faire la jonction entre le corps et l’objet. Anaísa Lopes aka Piny est Lisboète. Superactive sur la scène chorégraphique et queer de son pays, elle signe avec HIP. a pussy point of view. sa première création, qui, sans manquer de nous rappeler le titre de Shakira Hips don’t lie, ne ment pas et s’offre avec une grande humilité. À demi-nue sous des chaînes et bijoux qui enserrent ses hanches, elle commence de dos un long et énergique balancement. Danse des fesses plutôt que danse du ventre, « c’est surtout un mouvement qui permet traditionnellement la lubrification » raconte la chorégraphe au savoir encyclopédique sur les pouvoirs du bassin.

 

HIP. a pussy point of view. de Piny p. Joao Peixoto

 

S’ensuit une série d’autres danses à connotation sexuelle : twerk, striptease, lap dance, voguing, cabaret, carnaval et cours de fitness. En rejouant ces danses-là, changeant régulièrement de culotte - à strass, en coton blanc ou en dentelle - Piny s’approprie la réification et l’hypersexualisation de son corps. Si sa pièce s’avère brouillonne et part dans tous les sens, la chorégraphe, consciente de ses écueils, est fière d’avoir réussi à infiltrer ces danses sur la scène institutionnelle mais accueillante du Théâtre municipal de Porto.

 

> Dias Da Dança a eu lieu du 24 au 12 mai ; FITEI jusqu'au 25 mai à Porto

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