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Sur la scène, on découvre un carré beige, qui semble un peu mou par endroits, comme un échantillon de peau. Dessus, deux interprètes, une femme et un homme, portent un ensemble K-way et short beige. Leurs gestes sont saccadés, répétitifs - proche du popping en Hip-hop - comme si leurs corps avaient été court-circuités. Depuis 2012, Florencia Demestri et Samuel Lefeuvre, duo d’artistes pluridisciplinaires, élaborent ensemble des gestuelles intenses, hybrides et hautement sensorielles. On découvrait cette perturbante patte chorégraphique en 2016 dans Le Terrier, introspection angoissante aux accents lynchiens et à la danse quasi épileptique. Pour leur dernière création, Glitch, ils couplent la finesse de leur travail sur le mouvement, à une recherche musicale et lumineuse qui perturbe nos sens et libère notre imaginaire.

 

Glitch de Florencia Demestri et Samuel Lefeuvre p. Laetitia Bica

 

Esthétique de l’accident

Les danseurs évoluent dans des ambiances sonores et visuelles qui rappellent l'idée d'une nature douce : ils invoquent des prairies, où les oiseaux chantent, la plage, où l’écume s’écrase sur le sable et les enfants jouent. Le plateau est baigné dans des lumières aux tons pastel à la fois intenses et hypnotiques, tantôt jaunes, roses ou vertes. Pourtant, ces scènes qui ressemblent au réel, ne le sont pas vraiment. Quelque chose cloche. Les sons sont interrompus, superposés. Les lumières changeantes déroutent nos sensations.

Nous perturber semble justement être l’objectif de Florencia Demestri et Samuel Lefeuvre. Grâce à Raphaëlle Latini, créatrice des ambiances sonores et Nicolas Olivier, qui compose des illusions d’optiques en jouant avec le spectre des lumières de couleur, ils ont obtenu un parfait univers d’entre-deux, ciselant finement l'atmosphère pour troubler notre perception et brouiller nos capacités cognitives. Ainsi, ils font directement référence au « Glitch Art », mouvement qui se concentre sur l’esthétique des glitch, ces erreurs qui apparaissent dans le circuit électronique d’un ordinateur, provoquant souvent des images étranges et déformées. Les artistes du glitch recherchent volontairement l’accident et le créent de toute pièce grâce à plusieurs moyens, comme le « circuit bending », qui consiste à créer des courts-circuits volontaires dans un appareil électronique, ou le « datamooshing », où l’on déforme les pixels d’une vidéo en modifiant les paramètres d’encodage.

Florencia Demestri et Samuel Lefeuvre ont transposé ces procédés pour les appliquer à la matière chorégraphique, créant des glitchs corporels. Leurs gestes, basés sur des mouvements connus de la vie quotidienne, à force de fragmentations, de superpositions et de déformations se vident alors de tout sens. Entre l’organique et le numérique, le naturel et le synthétique, Glitch est une expérience sensorielle douce et intense. On y est tantôt envoûté, tantôt interloqué, jusqu’à l’acmé du spectacle qui nous sature d’informations, nous plongeant dans une dimension hors du temps et de l’espace.

 

> Glitch de Florencia Demestri et Samuel Lefeuvre le 10 septembre à l'Atelier de Paris CDCN dans le cadre du festival Indispensable !, en partenariat avec le Centre Wallonie Bruxelles 

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