CHARGEMENT...

spinner

Programmation ordinaire des grands théâtres nationaux et passage obligé des étudiants qui s’y forment, les adaptations de pièces de répertoire détonnent un peu plus dès lors qu’elles s’invitent sur les scènes tournées vers les écritures contemporaines. Marcial Di Fonzo Bo, directeur de la Comédie de Caen, a donc choisi d’ouvrir sa saison théâtrale et d’inaugurer la nouvelle salle du Théâtre des Cordes avec une adaptation de Richard III de Shakespeare.

Plus encore que celle du roi d’Angleterre qui gouverna le pays de 1483 à sa mort, l’histoire qui nous intéresse ici commence en 1995. Dans le cadre du festival d’Avignon, le metteur en scène Matthias Langhoff fait sensation avec une adaptation de Richard III de Shakespeare, Gloucester Time - Matériau Shakespeare - Richard III, dans laquelle celui qui n’est alors que le duc de Gloucester multiplie mensonges, meurtres et manipulations. Le tout pour obtenir les êtres et les titres qu’il convoite, jusqu’à provoquer sa propre perte. La presse d’alors est unanime pour saluer l’ingéniosité de la scénographie signée par Langhoff, entre champs de bataille et folle ingénierie de rouages, de rails, de cordes et de convertibles. Surtout, l’attention va au jeune comédien choisi pour interpréter le despote : un certain Marcial Di Fonzo Bo. Quelque vingt-cinq années plus tard, l’acteur vedette passé directeur de théâtre décide de recréer la pièce qui l’a fait connaître. Il en signe désormais la mise en scène avec Frédérique Loliée, déjà interprète de la Reine Margaret dans la version de 1995.

Même si le reste de la distribution est confiée – comme l’avait fait Langhoff – à un fin casting de jeunes actrices et acteurs, le projet d’une recréation vingt-cinq ans plus tard pourrait laisser croire à une simple nostalgie. Surtout qu’à première vue, le Gloucester Time de 2021 diffère peu de l’original. Marcial Di Fonzo Bo y tient toujours le rôle-titre, Frédérique Loliée encore celui de « la vieille reine Margaret », dans une scénographie reprise à l’identique. Plutôt qu’une réitération muséale, ce plateau monté sur ressort semble pourtant avoir directement germé dans le terreau du bordel sanitaire, politique et social largement favorisé par la crise du Covid. Le sol y est instable, le plateau central penche dangereusement sous les mouvements des corps qui s’y ajoutent ou le désertent, et les voies de sortie ne sont jamais garanties. Ce qui, l’instant d’avant, faisait office de digue se transforme la scène suivante en crevasse ou en nid de poule, et la seule constante tient dans les grands panneaux de bois qui encadrent cette arène dramatique aux allures de fond de saloon. De même, ce personnage de Richard III que l’on redécouvre a pris quelques rides, et évoque un peu moins l’insolence de la jeunesse. À le voir comme ça, vulgaire, égocentré et despotique, il offre plutôt le portrait acide d’un ordre patriarcal sur le déclin, largement contrebalancé par une armée de personnages féminins remontés à bloc. De la princesse courtisée à la mère du tyran, deux générations d’actrices incarnent de concert l’énergie, la force et l’indépendance, renvoyant toujours un peu plus Richard III à la médiocrité de ses stratagèmes politiques et amoureux.

Si les mutations permanentes de l’espace scénique ravissent par elles-mêmes, les jeux de ruptures – dont la nouvelle traduction d’Olivier Cadiot n’est pas avare – ajoutent encore au rythme explosif des trois heures de spectacle. Dans la langue comme dans le jeu des comédiennes et comédiens qui la portent, les corps se tordent pour rire ou pour s’enfuir, les assignations de genre n’indiquent plus la hiérarchie entre les uns et les autres et le tout incarne les passions humaines autant qu’il les nomme. Mais ce qui place le plus sûrement Gloucester Time du côté d’un théâtre pleinement contemporain, il faut peut-être le chercher du côté d’une distribution où les jeunes comédien et comédiennes ne s’effacent pas derrière leurs ainés, où les accents se mêlent et mettent à mal l’idée d’un unique parlé juste, et où surtout la jeunesse française dézingue allègrement ce bon Richard III, archétype du vieux canon blanc.


> Gloucester Time / Matériau Shakespeare - Richard III de Marcial Di Fonzo Bo et Frédérique Loliée a été présenté du 13 au 18 septembre à la Comédie de Caen, Hérouville-Saint-Clair ; du 23 au 27 novembre à la Comédie de Caen avec le Théâtre de Caen ; du 12 au 14 janvier à la Comédie de Béthune ; du 1er au 5 février au TnBA, Bordeaux ; les 25 et 26 février au Volcan, Le Havre ; les 8 et 9 mars au Tangram, Évreux ; du 27 au 30 avril à la Comédie de Genève, Suisse ; du 4 au 6 mai à la Comédie de Reims ; du 12 au 15 mai à La Villette, Paris

Lire aussi

    Chargement...