CHARGEMENT...

spinner

Le danseur-chorégraphe Israel Galván et les ingénieurs de l’institut YCAM de Yamaguchi au Japon ont enregistré sur plusieurs mois les bruits de bottes du claquettiste virtuose, au cours de séances dédiées à la capture du mouvement. Le protocole a été défini par le spécialiste en I.A. - intelligence artificielle - Nao Tokoi, qui a tenu compte des desiderata de l’artiste, lequel a été équipé pendant ses répétitions de chaussures à son pied, cousues main et conçues sur mesure par le meilleur faiseur de Madrid, la maison Gallardo. Les données brutes collectées ont alimenté le système algorithmique de l'I.A. et ont permis d’inventer, pour ainsi dire, un nouveau langage destiné à produire des suites rythmiques et à les communiquer intimement au danseur.

 

Chambre d’écho

L’espace du théâtre, avec la disposition bifrontale de l’audience, est divisé pour ce qui est du plateau en différentes petites cases, recouvertes de diverses textures et matières : des billes d’acier tombées du ciel accompagnées de la chanson « Pachinko » (1991) du Tokyo Panorama Mambo Boys ; des pierres polies faisant allusion, d’après Israel Galván, à 2001, L’Odyssée de l’espace (1968) de Stanley Kubrick, un film dans lequel l’I.A. de l’ordinateur HAL 9000 prend le dessus sur l’homme ; des gravillons prélevés dans le ballast ferroviaire ; et enfin, des surfaces lisses et virginales pour claquettes.

L’opus est en trois parties séparées par des fondus : piétinements avec santiags puis avec les pieds à peine protégés par des mi-bas aux couleurs du club de football de Séville ; solo flamenco pur et dur d’une vingtaine de minutes ; explorations polyrythmiques avec, tantôt des effets en contrepoint, tantôt une visée synchronique. Nao Tokoi, l'ingénieur en I.A., a rappelé que durant la phase préparatoire, la vigueur du frappé des pieds du danseur était telle que plusieurs micros furent pulvérisés et que les autres eurent du mal à suivre le tempo infernal de quinze pas à la seconde auquel ils étaient soumis. 

La technique non seulement permet de remplacer l’orchestre de chambre qui habituellement accompagne le flamenco mais aussi de produire un état second, proche de la transe, par des moyens futuristes, au sens propre, c'est à dire bruitistes. Israel Galván découvre ces sons et vibrations avec une impression nouvelle : celle d’avoir huit pieds.

 

 

Duel en soleá

Si l’on excepte Torobaka, le duo entre Israel Galván et Akram Khan de 2014, le bailaor espagnol danse seul, tout au plus avec des accessoires. Cette singularité justifie le titre de l’ouvrage que lui consacra Georges Didi-Huberman, Le Danseur des solitudes (2006). Sans dévoiler davantage le résultat étonnant du dialogue entre Israel Galván et l’appareillage audio dont il est fait étalage, sans vouloir non plus le minimiser, nous dirons que la confrontation du danseur avec son double, la communion de l’égo et de l’écho, fait songer aux défis que lancent les joueurs de tablas - percussions d'Inde du Nord - aux interprètes de Kathak, la danse indienne qu'on associe à ces instruments.

Israel & Israel, malgré son titre, n’a rien de schizophrénique. Au contraire, on ressort de ce spectacle avec l’impression d'une union de l’ici et maintenant avec l’expérience rythmique accumulée depuis près d’une vingtaine d’années par le chorégraphe. Depuis sa première pièce, ¡Mira! / Los zapatos rojos (1998) où il jouait avec une marionnette le figurant - une œuvre à laquelle il est fait allusion sous forme d’extrait vidéo projeté à même un des murs de la Maison de la Culture du Japon - à celle, plus économe en danse, découverte ce mois-ci à Charleroi danse en Belgique, El Amor brujo. Loin de s’éteindre, l’entrain qui, littéralement, anime aujourd'hui le soliste, gagne en puissance, en intensité, en efficacité. 


> Israel & イスラエル de Israel Galván a été présenté du 24 au 26 octobre à la MCJP Maison de la Culture du Japon à Paris

Lire aussi

    Chargement...