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Sur un écran plaqué à l'extrême avant-scène, un jeu de projection propulse les spectateurs sur le seuil d'une bâtisse de Téhéran, dans le réveil chaotique de l'après-guerre entre l'Iran et l'Irak. Introduit sur les lieux par l’aridité d'une bande son électro-galactique, le public marque la tension dès l'ouverture de la pièce, lorsque à travers la captation de la maison apparaît la figure fantomatique d'une jeune femme, présence véritable sur la scène, et qui semble pourtant plus teintée d'étrangeté que les séquences qui défilent à l'écran. Péniblement engagée dans une temporalité toute engourdie, et qui n'est pas sans rappeler le climat d'Un homme intègre, film du réalisateur iranien Mohammad Rasoulof, la pièce de Kamal Hashemi nous immisce dans une maison délaissée, que la propriétaire retrouve après une longue absence. Par le truchement des bruitages et d'une captation filmique saisie caméra au poing, le spectateur suit au plus près les retrouvailles d'une jeune femme avec les murs qui l'ont vue naître. Et la rencontre, plus fortuite, avec une intruse arrivée là par les ressacs du conflit.

 

Chants de ruines

Par un jeu d'ombre et de lumière, Shiva Falahi et Pantea Panahiha surgissent et disparaissent au plateau, dédoublées souvent par une caméra sur trépied. L'appareil, passé de l'autre côté de l'écran, enregistre au plus près les témoignages de l'une et l'autre : au carrefour de leurs exils, physiques et mentaux, les deux femmes s'apprivoisent et se racontent par l'anecdote, le non-dit et les impasses du récit. Dernières fondations d'une cité en ruine, voilà deux âmes qui forcent le respect jusqu'au frisson. Porté par deux comédiennes hypnotiques, It's a good day to die trace avec une précaution solennelle l'itinéraire d'un retour à soi, possible peut-être à la seule condition d'un recours à l'Autre. Création plurielle et qui fait la part belle à l'image, le spectacle des frères Hashemi saisit par la finesse de ses compositions visuelles, décor kinesthésique où le petit olivier, le mur de l'entrée et le souvenir d'enfance résonnent plus fort qu'un au-dehors mutique et définitivement hors-champ.
 
Par un jeu de miroir où l'objet-sujet se perd dans ses représentations, le théâtre et le cinéma se relaient et se contestent à vue, pour s'amuser finalement de quelques notions d'authenticité. La scène du théâtre, toujours médiatisée par l'écran tendu en bord de plateau, reste inaccessible à la saisie directe du regard. Difficile alors de ne pas y voir une mise en abyme de ce qui se joue au bord de la fiction : happés par le récit intime de la guerre, de la fuite et de la douleur, tâchons de ne pas oublier, in fine, que cette réalité-là nous reste étrangère. Plus encore, It's a good day to die semble interroger les motivations des spectateurs venus scruter au plus près les lézardes d'un drame qui définitivement leur échappe. « J'ai une toile devant les yeux, et vous attendez que le film commence. », conclue en sphynx l'une des deux protagonistes.

 

> It's a good day to die de Kamal Hashemi a eu lieu du 23 au 26 janvier dans le cadre du festival Vagamondes à la Filature, Mulhouse.

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