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Ouverture en grandes pompes – modèle lacé, montant et cranté -, la nouvelle création de Céline Champinot récidive avec les ingrédients déjà présents dans Vivipares (posthumes). Brève histoire de l’humanité, créé en 2014. Scène encombrée, décor rendu obscure par trop de signifiants, présence invasive d’une pop culture apocalyptique, La Bible, vaste entreprise de colonisation d’une planète habitable précise le style absurde, cynique et décalé de Céline Champinot, quittant cette fois la sphère artistique pour la scène politique.

À l’origine, le verbe poussif et nasillard d’une délégation de scoutes morveuses et déjà bien amochées. Plantées en rang d’oignon et devant de scène, les quatre plus une – perchée littéralement sur un mât de fortune-, récitent avec zèle les rudiments d’un catéchisme prémâché. L’allure nouille et pataude des cinq louveteaux arrache des sourires, avant que leur ton docte nous les déniaise et renforce le comique du portrait.

Une fois les Écritures Saintes sommairement balancées, le scénario s’emballe, laisse place aux querelles de terrain, fait causer stratégie et pureté de race. Le groupe se reconfigure, complote, sort les drapeaux et surenchérit à qui aura le plus gros. Sur la scène lacérée de signalétiques, où frontières et limites précèdent l’arrivée de la vie, le convoi s’emmêle un peu plus encore dans les obsessions identitaires.  Bientôt, c’en est trop du vieux monde, le groupe décide à la majorité forcée d’une fuite vers l’ailleurs, fantasme off shore d’une île vierge de l’Autre et pur produit de la technocratie tendance smart city.

À peine le premier pied posé hors du vaisseau, les chamailleries reprennent de plus belle. Le script biblique part en free style, les rixes se règlent par duel chevaleresque et battle de twerk, les jeux d’alliance concurrencent une partie de Bonne paye à Noël. Les références, sous-titres et effets de rupture se succèdent en cascade, le plateau se module au gré des variations de scénario. Par la force du verbe et du jeu, le Comité Invisible se prend dans les filets d’une speakerine à porte-voix de casserole, les danses tribales réveillent les démons ancestraux et historiques, un ensemble d’imper’ polychrome s’immole au flamenco et compose l’air de rien le drapeau d’un pays qui pour certains n’existe toujours pas.

Avec cette seconde création, et s’il fallait encore le prouver, le groupe LA gALERIE confirme au plateau son goût prononcé pour le barré sévère à la sauce érudite. Mais qu’on ne s’y trompe pas : La Bible ne console, n’apaise ni ne propose de solution. Au contraire, la pièce agace, amuse aussi, mais pique et gratte là où ça fait mal. Dans cette nouvelle création, ça chiale, ça bave, ça remue et ça cogite, précipité dans une fuite bringuebalante vers l’ailleurs et les rêves de cocotiers pixelisés. Et ça beugle d’émotion, ça suinte l’angoisse, souvent sans complaisance, sans classe et sans concept : bref, ça pue délicieusement la vie.

 

>La Bible, vaste entreprise de colonisation d’une planète habitable de Céline Champinot, jusqu’au 8 décembre au Théâtre de la Bastille à Paris

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