CHARGEMENT...

spinner

Sacré Galván ! Il fallait s’y attendre. Dans sa dernière création en date, le bailaor associé depuis déjà une dizaine d’années au Théâtre de la Ville s’en est pris sans complexe à la composition musicale la plus novatrice, et donc scandaleuse, du XXème  siècle : Le Sacre du printemps (1913). Une œuvre d’Igor Stravinsky, rebaptisée en andalou La Consagración de la primavera, titre du spectacle. Le morceau a été joué live dans son intégralité et sa réduction à quatre mains de l’auteur par les pianistes virtuoses Sylvie Courvoisier et Cory Smythe qui ont préféré se confronter en se faisant face chacun derrière son propre Steinway D grande queue plutôt que côte à côte, sur un seul et même clavier. Pour les besoins de la cause spectaculaire, il a été précédé d’un opus manigancé par le duo de musiciens, Conspiración, à base essentiellement de « piano préparé » et prolongé d’un bonus de Sylvie Courvoisier, Spectro. Les duettistes y allant en free style, voire en free jazz, en partant de la « carte des timbres » et de la « pure matière sonore » déjà là dans la partition et les annotations du compositeur russe.

 

La Consagración de la primavera de Israel Galván, Sylvie Courvoisier et Cory Smythe p. Rossi Léonard

 

Et la danse ? Qu’on se rassure, de ce côté-là, on en a aussi pour son comptant. Non qu’Israel Galván se soit référé ou mesuré au plus grand danseur du siècle passé, Vaslav Nijinski, le chorégraphe du ballet, en proposant une énième version de la messe païenne d’Igor Stravinsky et Nicolas Roerich - co-auteur qui signa les décors et les costumes pour les Ballets Russes de Serge Diaghilev. Les seuls points communs avec le livret sont le rapport au tellurique et la présence de la femme, donc du sacrifice de l’élue. Ce, symbolisé par le port d’une gigantesque robe noire de mevlevi, ordre musulman soufi connu pour ses « derviches tourneurs », et au plissé digne du designer Issey Miyake ou rappelant un peu celle dessinée par Goude et Alaïa pour l'actrice, réalisatrice et mannequin Farida Khelfa. La danse comme le corps de Galván s’aiguisent avec le temps. Malgré la dépense énergétique, la fréquence cardiaque infernale, les risques de lésions méniscales ou ligamentaires signalés par un strapping nullement dissimulé (il faut dire que le danseur évolue ce coup-ci en short), il ne cessera de zapatéer plus d’une heure durant. Autant dire qu’il en a gardé sous le coude, ou plutôt, sous le genou. Avec une certaine humilité, il a accepté non seulement de faire don de son corps à l’art de Terpsichore mais aussi de faire de ce « corps dansant, comme il dit, l’instrument percussif » de l’œuvre de Stravinsky.

 

« Clown de Dieu »

Sa danse, en d’autres termes ce qui sépare ou relie deux rafales de taconeo ou de frappes de bottines noires, demeure sans façon, faite de poses diversement connotées, de signes issus de son univers personnel : du sport, du foot et des arts martiaux, de l’animalité en général et de la tauromachie en particulier, de la quotidienneté, comme ce bras tendu qui glisse de l’allusion fasciste au signe adressé à un taxi. Des danses aussi, mais à petites doses, de la pavane flamenca qui exige le bombement du torse et le braceo maniéré, au butô, en passant par l’équilibre sur une jambe, seule allusion au ballet postromantique de Nijinski.

Le respect de Galván pour le chef d’œuvre de Stravinski ne l’empêche aucunement d’introduire quelque touche d’humour, y compris dans sa gestuelle même. Nous l’avons vu, à plusieurs reprises, chuter brusquement pour se retrouver le postérieur en contact avec le tapis de sol, façon « clown de Dieu » pour reprendre les mots de Nijinski, puis se relever en se tirant par la peau du cou comme s’il était sa propre marionnette. Nous l’avons vu exécuter, les genoux en dedans, une assez longue routine de charleston et un numéro de tap-dance, les bras repliés comme s’il était manchot, les coudes protégeant son buste. Nous l’avons apprécié, se déplaçant à petits pas comptés comme ceux d’une babouchka ou d’une geisha, les pieds pris dans le tissu de la robe entortillée. Nous l’avons enfin admiré dans sa série de tours et de voltes en tous sens. Finale, ou presque, du spectacle.


> La Consagración de la primavera de Israel Galván, Sylvie Courvoisier et Cory Smythe du 5 au 15 janvier avec le Théâtre de la Ville au 13ème art, Paris ; le 10 mars au Théâtre des Quatres Saisons à Gradignan ; les 5 et 6 mai à Bonlieu scène nationale d'Annecy ; les 14 et 15 mai au Théâtre de Nîmes ; le 16 mai au Zénith de Pau avec Espaces Pluriels scène conventionnée danse en partenariat avec le Parvis scène nationale de Tarbes

Lire aussi

    Chargement...