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Nous sommes dans une banale salle de sport d'un collège quelque part à Bologne. Un duo se meut à travers l'espace au son du tic-tac d'une horloge. Une personne les rejoint, puis une autre. Le son s’amplifie : des instruments s'ajoutent, et un rythme électro traverse les corps par vagues successives. Tous les membres du groupe, trente désormais, semblent être liés entre eux, ils changent de direction, accélèrent, ralentissent, sans leader ni indications reconnaissables. Dans ce workshop nommé « Stormo », organisé par la compagnie Effetto Larsen, des hommes essayent de recréer une nuée d'oiseaux, plus exactement un vol de « stornis », d'étourneaux. Ces petits oiseaux ronds avec de longues ailes et une queue courte ont la particularité de se déplacer par centaines et milliers, formant des nuages denses et traçant des dessins incroyables dans le ciel.

L'inspiration serait venue au directeur artistique Matteo Lanfranchi lors d'une balade hivernale à vélo le long d'un canal à Milan. Venu du théâtre, cela faisait un moment qu'il ne dormait plus la nuit, insatisfait et ressentant le besoin de trouver une autre manière d'entrer en relation avec le public. « Moi je suis sur le plateau, toi qui as payé ton ticket : assis-toi là-bas dans le noir… » Il mime un revers de main méprisant. « Et ça, ce n’était pas possible pour moi. »

 

Pas de deux art et science

Pour mieux comprendre le fonctionnement de ces vols d’étourneaux spectaculaires, Matteo Lanfranchi a collaboré avec plusieurs scientifiques. Irène Giardina, qui travaille sur le comportement des animaux, lui a donné une petite leçon qui lui a permis d’avoir les concepts et les termes auxquels il se réfère dans ses workshops : intelligence collective, comportement émergeant, corrélation, système d'interaction, vitesse de transmission, propagation de l'interaction...

Gilles Tredan et Mathieu Roy, chargés de recherche au CNRS ont quant à eux participé à un workshop en 2015 pour poser la question suivante : « Peut-on mesurer l'harmonie ? ». Ils ont équipé les participants d'un badge de localisation afin de mesurer les positions des danseurs dans l'espace et de retranscrire leurs déplacements en graphiques en temps réel. « Au début, il se peut qu'une personne influence de manière disproportionnée tout le groupe. À la fin de la journée peut-être tous s'influencent dans les mêmes proportions. »

Travailler avec des artistes a permis à Gilles Tredan de réfléchir à nouveau au rôle des scientifiques. Pourquoi les performeurs lui accordaient-ils autant de crédit ? « Ce qui caractérise la science c'est le doute, et non la certitude. Dans l'espace public, il y en a une utilisation complètement opposée. » Une position dans laquelle un biologiste, également contacté par Matteo Lanfranchi, abonde. « Tous les trois à quatre ans, on explique autrement les nuées d’oiseaux. On ne le sait pas, on en a aucune idée, donc on cherche à imaginer. » C'est ce point qui intéresse Matteo, et c'est là qu'il trouve une forte connexion avec l'art : il ne sait pas non plus, pourtant quelque chose arrive.

 

Écoutes

Désormais, Matteo se concentre davantage sur l’aspect artistique. Des danseurs professionnels ont intégré l'équipe. « Quand je fais STORMO, j'éprouve une unité. Du coup, je ne me préoccupe pas de moi-même, mais de cette chose extérieure plus grande que moi. Inversement, l'extérieur s'occupe de moi. » raconte l’une d’entre eux, Elena Fontana Paganini. Mattia Santori, lui aussi a appris sur son rapport aux autres. Joueur de freesbee, il était plutôt habitué à la compétition, ou aux rapports de force. « Au début, je voulais que les autres fassent ce que je voulais. » L'exemple des oiseaux permet de laisser émerger une sensibilité humaine trop souvent mise de côté : l'écoute de l'autre, l'écoute de notre entourage et des sensations du corps. Un entraînement à être dans le « adesso », l'instant, à rester dynamique et attentif à toute action-réaction.

Un autre soir à Bologne, une pluie légère a failli empêcher Roberto dans la création sonore, mais finalement l'envol peut commencer. La prochaine fois peut-être certains d'entre eux rejoindront la nuée, comme ce fut le cas de cet homme en chemise bleue, dont Matteo garde un souvenir impérissable. « Hyper-sérieux, hyper-professionnel, il avait l'air très rigide. Il a dansé durant quatre heures ! Les danseurs étaient crevés, mais lui, jusqu'au dernier moment il était là. C'était le dernier à sortir. »

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