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Sur la scène, éclairée dès l’ouverture des portes, un bloc d’ardoise placé à même le sol s’érige à la verticale et entrave l’horizon dans toute sa largeur. Au-dessus du rectangle minéral, une fine branche de bois mort tenue en suspension achève la composition du paysage désolé. Seul un petit cube, dans le même matériau anthracite, trône à l’avant-scène. D’un pas fluide et sans annonce, Chloé Moglia se faufile jusqu’à la masse cubique, laissant sur le sol l'empreinte poudreuse de son passage. Après un regard entendu adressé à la salle, la circassienne dégaine un bâton de craie et en quelques traits, fait naître sur le cube la silhouette prostrée d’un enfant au crâne d’œuf. En un geste, l’espace est habité.

Rejointe au plateau par la musicienne Carla Pallone et sa table de mixage, Chloé Moglia délaisse le chérubin et fonce, bille en tête, essaimer de petites barres d’aimants clairs sur le grand tableau noir. Le résultat, un slogan choc écrit dans une langue inconnue, semble convaincre son auteure. De part et d’autre du grand tableau, les deux femmes s'engagent alors dans une guerre des signes, chacune cherchant à devancer le tracé de l'autre. Leurs premiers jets, symboles conceptuels de l’infini à oméga, deviennent vite insignifiants avec l’apparition de personnages. Ici, un homme austère assène un discours silencieux. Là, un ange bicéphale semble survoler la scène. Puis, c’est toute une colonie de petits bonhommes qui se mêle à l’intrigue. En quelques mouvements, et par la seule puissance de l’imagination, le plateau déborde de nouvelles figures.

 

 

 

Ligne de crête

La musique, composition minimale et métallique jouée en live par Carla Pallone, s’emballe. La ligne d’aimants se fracasse et tout ce petit monde vole en éclats. D’un bond félin, la circassienne s’amarre au tableau à la force des bras, et, par un jeu de mime, s’appuie sur les traits de craie pour se hisser sur le haut du tableau. De ce nouveau point de vue, l’histoire se retourne et raconte une gravité inversée. Maintenue tête en bas par l’angle de ses genoux, l’acrobate libère le buste et remonte le cours de la fresque. Son mouvement gagne en assurance, la jeune femme saisit l’élan et agrippe du bout des doigts la grande branche suspendue. L’acrobate s’accommode du retournement de situation et reprend tranquillement la chorégraphie exécutée tête en bas. À cela près que la jeune femme vacille désormais à plusieurs mètres du sol. De là s’envolent les dernières limites de la raison matérielle : la gravité ne semble plus avoir prise et Chloé Moglia paraît trouver dans les airs des volumes invisibles sur lesquels prendre appui.

Avec L’Oiseau-lignes, Chloé Moglia s’inscrit dans la lignée du nouveau cirque, soucieux de dépasser la seule prouesse physique au profit d’une narration plus poussée. Par la présence scénique de la circassienne, par le jeu de connivence qu’elle engage avec les spectateurs dès son entrée sur scène, par la gestuelle de clown bienveillant qu’elle tient toute la pièce durant, la créatrice de L’Oiseau-lignes présente un format long où la trame narrative parvient à supporter l’abstraction de la forme.


> L’Oiseau-lignes de Chloé Moglia du 10 au 18 janvier au Théâtre Vidy-Lausanne, Suisse ; du 4 au 5 février à Bonlieu, Annecy ; du 12 au 13 mars au Phénix, Valenciennes

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