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Dans la grisaille d’un après-midi pluvieux, un groupe se presse devant l’entrée du Centre Socio-Culturel Papin de Mulhouse. Hétérogène, l’assemblée compte autant d’hommes que de femmes, des jeunes et moins jeunes, des têtes nues et d’autres enveloppées de tissu. Tou.te.s sont venus assister à la représentation de Mahmoud & Nini. Dans le hall, l’attente se comble en français, en arabe, en russe. Une fois installée, la cinquantaine de spectateurs trépigne, les petits groupes restés soudés échangent des anecdotes avec entrain, d’autres attendent docilement la suite, d’autres encore pianotent sur leur téléphone, un écouteur à l’oreille. Bref, un avant spectacle ordinaire, si ce n’est que le public habituellement majoritaire dans les salles de théâtre public est ici à peine représenté. Et la raison n’est pas à chercher du côté de la programmation, puisque la pièce qui va débuter a été saluée au Festival d’Avignon l’année dernière.

Le caractère exceptionnel de l’assemblée résulte bien plutôt du travail engagé sur le territoire par le Théâtre de la Filature, lui-même installé dans un autre quartier semi-périphérique de la ville. Le dispositif à l’origine de cette séance, « La Filature Nomade », s’applique ainsi depuis près de cinq ans à faire sortir la programmation de l’enceinte du théâtre, et ce dans une volonté de décloisonnement des publics. Dans la sincérité d’une démarche déjà démontrée par une programmation plurielle, exigeante, et contemporaine, La Filature a ainsi choisi cette année de présenter trois spectacles à travers les salles de la région, parmi lesquels Mahmoud & Nini de l’auteur et metteur en scène Henri-Jules Julien. Dans cette proposition épurée  - de fioritures et de préjugés – un jeune homme égyptien rencontre une femme française d’âge mûr. Le dispositif scénique est extrêmement simple : les deux comédiens au plateau sont assis face au public, et s’adressent l’un à l’autre par le biais d’un regard fixe vers le public, transformant ce dernier en interlocuteur implicite. Dans la petite salle du CSC Papin, le jeu des langues ravie l’assemblée, la fait rire en canons : c’est que le comédien parle en arabe, la comédienne en français. Les répliques sont traduites, mais donc trahies, et n’amusent parfois que les natifs.

Mais la rencontre au plateau, d’abord amicale et polie, glisse rapidement vers les terrains plus escarpés. Le voile, les femmes, l’islam entrent en scène, la Marianne se drape des grandes valeurs républicaines et condamne l’oppresseur préjugé. Le ton monte, les échanges deviennent plus secs, osent poser franchement les questions qui fâchent et les réponses qu’on évite. L’homme égyptien raconte le racisme endémique, sa carrière d’acteur et l’homosexualité qu’il a choisi d’assumer. Derrière lui, le personnage laisse émerger la voix du comédien, donne à entendre une parole drôle, incisive et sincère sur l’état des luttes et les difficultés personnellement traversées. De Gizeh, retour à Mulhouse : la salle est devenue très calme, des hommes gardent la tête baissée, plusieurs femmes agitent les mains nerveusement. Ici comme ailleurs, le sujet reste sensible. Ce que confirmera sobrement une assistante sociale parmi les spectateurs, restée avec quelques femmes pour discuter avec l’équipe artistique - ou simplement entre elles - à l’issue de la représentation.


>Mahmoud & Nini de Henri-Jules Julien, a été présenté du 30 janvier au 7 février à Mulhouse et dans la région Sud-Alsace, dans le cadre de « La Filature Nomade » par La Filature - Scène Nationale, Mulhouse. Du 24 au 27 mars au Centre Culturel André Malraux, Vandœuvre-lès-Nancy ; du 22 au 25 avril au Théâtre Jean Vilar, Vitry-sur-Seine.

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