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Question de culture et de moyens : un festival comme Rewire n’existerait pas en France. Ce n’est pas que nos programmateurs ne font pas le travail – tous œuvrent à faire vivre les musiques marginales du mieux qu’ils peuvent. Mais une manifestation d’une telle densité autour d’une ligne artistique aussi « niche » ne trouverait ni les fonds ni son public par chez nous. Près de 200 événements dans 25 lieux sur quatre jours, avec pour têtes d’affiche Autechre, Graal des nerds, et des chanteuses arty type Julia Holter – on n’y penserait pas même à Paris. Mobiliser des équipements culturels de premier plan, un réseau de salles de concert, des clubs, des églises et même des théâtres de prestige, les faire vibrer de 13h à 5h du matin avec tout ce que l’époque propose en expériences musicales pointues, de la noise aux arts sonores en passant par les extrêmes de la pop et du clubbing : voilà un luxe réservé à un pays bien rangé comme les Pays-Bas. Et le public répond à l’appel : une bonne partie des concerts affichent complet, preuve d’une érudition et d’une curiosité aiguisées. Mais trêve de french-bashing : le vrai est dans le line-up et Mouvement a ses highlights du week-end.


Maxime Denuc


Il est 00h30 vendredi soir et l’église luthérienne de La Haye est remplie à bloc. Pourtant, personne ne montera sur scène. Yeux et oreilles sont rivés sur l’orgue qui domine le lieu de culte, tout juste mis en valeur par un jeu de lumière. Le Français Maxime Denuc y a branché son laptop pour que l’instrument exécute des boucles d’habitude réservées à la dance music. Musicalement, Philip Glass n’est jamais loin, la nostalgie et l’écho des raves en plus. Mais scénographiquement, avec l’artiste absent de notre champ de vision, l’expérience flotte hors du réel. La machine nous regarde et sa présence monumentale rassure, facilite même la communion. Et si, seul face aux tuyaux et aux arpèges, sans intermédiaire humain à vue, notre réception était plus crue ?



Maxime Denuc planqué dans l'orgue de l'église luthérienne de la Haye © Jan Rijk



Ka Baird


Les musiques expés, c’est souvent des quidams qui tirent la gueule plantés derrière leurs machines. Rewire a donc ponctué son line-up de propositions incarnées et Ka Baird en était. Sur la petite scène du Korzo Studio, l’Américaine exploite tout ce qu’un corps provoquant des sons peut avoir de théâtral. Son instrumentarium est pourtant réduit : un laptop, une flûte et un micro ultra-sensible programmé pour amplifier tout ce qui passe. Clown bipolaire, paratonnerre des phénomènes sonores, poète postillonnant des onomatopées : la sound-artiste tient une salle de quarante personnes dans sa main avec une performance qu’elle dit avoir conçue pour un spectateur seul.


Keeley Forsyth


Cabotiner sur scène ? En théâtre, ça jure, en musique, ça fait son effet. Et dans le registre de la poétesse goth possédée, Keeley Forsyth s’est imposée comme une valeur sûre en moins de quatre ans. Pourtant, l’Anglaise est connue dans son pays comme actrice de séries et rien dans sa filmographie n’annonçait qu’elle donnerait un jour dans la pop dissonante soutenue par un orchestre de chambre. La grande église de La Haye est donc un décor tout trouvé pour sa messe noire et son lyrisme plombé. Corps dégingandé, gestuelle sur-affectée, la silhouette barrée par une frange de cheveux et les yeux écarquillés, jamais vers le public : la médium est connectée avec des astres sombres, à nous de suivre. C’est réglé au cordeau, parfois puissant, souvent grotesque, voire agaçant. Tel Moïse fendant la mer ou Mitterrand entrant au Panthéon, elle quittera l’édifice a capella par l’allée centrale, pas à pas. En toute modestie.



Keeley Forsyth en plein prêche © Alex Heuvink


Oneohtrix Point Never



L’Amare est un imposant complexe culturel haguenais renfermant pas moins de trois salles de concert XXL qui sentent le luxe. On se croirait au Palais des Congrès de Monaco – dans un lounge au rez-de-chaussée, des soixantenaires sirotent du jazz. Autant dire que Oneohtrix Point Never n’a pas l’habitude de se produire dans ce type de maison, qu’importe la notoriété quasi-mainstream qu’il a acquise suite à ses collaborations avec Rosalia ou The Weekend. Encore très confidentiel et cryptique il y a dix ans, le voilà ce soir au cœur d’un show audiovisuel qui arrose plus de deux mille personnes en clôture de Rewire. Conjurant le gigantisme du cadre, un marionnettiste l’accompagne. Celui-ci duplique l’artiste dans une mise en abyme cocasse, fondue dans une création vidéo hystérique. Mash-up d’informercials vintage et de cartoons défigurés, ce bad trip vaporwave sur grand écran catapulte les compos sur-dramatiques de l’Américain. Un gouffre multimédia s’ouvre alors sous nos pieds, prêt à avaler l’Amare et tout le festival à son climax.


Rewire s’est tenu du 4 au 7 avril à La Haye, Pays-Bas

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