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L’intrigue de À la carabine n’est pas linéaire, puisqu’elle se compose d’intermèdes, de flashback et de sauts en avant. Pourquoi le fil du temps est-il aussi discontinu dans votre pièce ?

Pauline Peyrade : « La temporalité “froissée” est un motif à partir duquel je travaille beaucoup. Elle est liée à la question de l’espace mental et à celle de la mémoire traumatique. Par-là, j’essaie de travailler la façon dont l’esprit revient sur un trauma, une violence, un nœud, et comment il tourne autour pour l’aborder autrement et se l’approprier. Je cherche à créer des dispositifs littéraires qui permettent de se glisser dans la peau des personnages, dans un certain rapport sensible au monde, altéré par un traumatisme, une violence, une aliénation. Il ne s’agit pas de les dépasser. En une heure de théâtre, ce serait trop rapide, mais de voir comment la pensée, la mémoire et l’imaginaire viennent travailler sur ces points symboliques, physiques et traumatiques. Si mes pièces sont souvent en éclat, c’est parce qu’elles mettent en scène un sujet qui a été dissocié, brisé, et qui doit se rassembler à nouveau.

La violence, physique ou psychologique, est récurrente dans vos pièces. Vos personnages en sont victimes, mais aussi parfois auteures. C’est le cas pour la jeune fille qui tient le rôle principal dans À la carabine, et qui décide de se faire justice elle-même. Pourquoi travaillez-vous le motif de la violence ?

P. P. : « Dans les pièces précédant À la carabine, il était toujours question de femmes en lutte contre un système oppresseur, contre quelqu’un ou contre elles-mêmes. Poings travaillait sur la perte de repères d’une femme, prise dans un système toxique et manipulateur, qui se débat avec elle-même. Ce qui m’importe, ce sont le courage et les efforts déployés pour mener ce combat jusque dans la sphère privée, même si cela n’aboutit pas absolument. Mais À la carabine se pose à un autre endroit, dans la mesure où c’est au tour des femmes de prendre la violence et de s’en servir. Le motif est cette fois porté plus loin, jusqu’à la réponse violente. Comme le montre la philosophe Elsa Dorlin, l’injonction tacite à la discrétion, à l’humour et à la résilience sont des outils d’invisibilisation de la violence que les femmes subissent. Dans ma pièce, j’ai voulu au contraire affirmer que la violence, une fois qu’elle est imprimée dans le corps, ne disparaît pas toute seule si elle n’est pas prise en charge. Soit elle détruit, soit elle pousse à détruire. L’enjeu de l’écriture est de faire ressentir par la fiction ce que la jeune fille ressent, à savoir qu’elle n’en peut plus de garder en elle une violence qui la tue.

À la violence des actes répond une violence des mots. Dans À la carabine, les dialogues comme les intermèdes en narration interne sont livrés dans une langue très crue, parfois vulgaire.

P. P. : « Je voulais travailler la violence dans l’écriture, puisqu’il s’agit d’un texte de fiction et pas d’un tract politique. Ce n’est pas un appel au meurtre, et c’est très important que ce soit entendu. Le titre À la carabine est emprunté à la plasticienne Niki de Saint-Phalle, qui peignait littéralement à la carabine. Elle peignait avec une arme à feu, un outil violent. J’ai essayé de transposer ça à l’écriture : qu’est-ce que ce serait d’écrire en trempant la plume dans l’encrier de la violence ? »
 

« C’est la base, connard, elle t’a pas expliqué ta mère,

connard, quand t’étais un petit connard , elle t’a pas dit que

t’as pas le droit de jouer avec les jouets des autres sans leur 

permission ? Tu n’as pas le droit de prendre ce qui n’est pas 

à toi, tu ne peux pas faire ce que tu veux avec ce qui n’est pas 

à toi, pose la pelle, rends le râteau à la petite fille. La 

petite fille pleure, elle veut son râteau, demande pardon, 

connard. Pardon petite fille, je n’aurais pas dû prendre ta 

pelle et ton râteau sans ta permission. Par-don, dis par-don. 

Plus fort, faut que je te défigure la gueule pour que tu com-

prennes ? »


 

> Pauline Peyrade, À la carabine, Les Solitaires Intempestifs, septembre 2020

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