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Au sol, huit cases tracées au scotch vert. Sur cette grille, six performers attendent en tenues de sport, les jambes prises dans des genouillères. Une voix de coach robotique donne des indications. Chacun à sa place sur le plateau numéroté, ils tapent des sprints en surplace et exécutent en boucle une série de mouvements. Le rythme s’emballe. La voix commente la performance de chacun, éloges et réprimandes se confondent. Un mélange d’ordres saccadés et d’encouragements à faire frémir n’importe quel employé de start-up en burn-out. Pour réussir, il faut courir vite, donner de son corps et de sa sueur au risque de finir suffoquant et pris de convulsions. Mais déjà les costumes colorés, les corps jeunes, le dispositif sportif, racontent autre chose. La machine grince.

 

Après la journée productiviste, vient la nuit. Les danseurs retirent leurs t-shirts de coton trempés de sueur, leurs shorts Adidas en polyester, les brassières en lycra. Une mise à nu où l’on reprend son souffle, peut-être un brin didactique. Ils enfilent un pantalon de latex très fin et glissent dans la rave et ses BPM sous une rangée de néons clignotants. La danse se fait lascive, on montre son corps animal, on s’ensauvage. La nuit comme exutoire queer. « On a déjà vu. » se dit-on.

 


Puis la techno recule, laisse advenir une musique électronique plus précise, moins sage. Les beats sont des coups de feu. La nuit se fait champ de bataille. On avait pourtant pris soin de supprimer les notifications du Monde, de ne plus écouter les infos. La guerre, c’est loin, se répète-on. Mais le spectre de la violence nous surplombe soudain. On pensait assister à une fête un peu random dans un hangar, mais c’est autre chose qui se joue. Le danger est palpable. L’angoisse tout juste montée, les danseurs quittent leur transe solitaire et forment des couples. Ils tournoient, s’enlacent sous la lumière orangée, les coups de feu et les bruits de jungle ; deux par deux, ils sont trois fleurs venimeuses prêtes à se défendre. La chorégraphie se délie, évacue les motifs répétitifs, devient plus organique.

 

Un chant lyrique s’élève alors. Les danseurs se répartissent sur le plateau, dans les coins et sur les chaises. Les scotchs ont été décollés du lino, les repères ont disparu et la voix entre sur scène. La chanteuse s’agenouille auprès d’un micro posé au sol et pousse des cris de sirène. Les autres dansent. Dans leurs mouvements, un peu d’impro. On distingue la gestuelle du premier tableau, déconstruite, appropriée. La voix est poussive, à la limite de la justesse. Andrea Pena voulait piétiner l’artificialité du quotidien, tout ce qui fait système et dicte nos conduites. Dans ce dernier tableau, elle offre un espace de liberté et enjoint les corps à inventer par eux-mêmes.



6:58 Manifesto a été présenté les 24 et 25 avril 2024 au Carreau du Temple, Paris. 

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