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Le spectacle d’Audrey Cavelius s’ouvre sur un décor mystérieux et onirique, un sol jonché de lierres et de fleurs blanches. De ce Jardin d’Eden émergent bientôt des morceaux de corps nus, tendus, étirés, déformés qui s’élèvent progressivement, avant de se recroqueviller. Sur la création sonore de Christophe Gonet, ce ballet s’installe et se regarde d’abord comme une lente respiration. On met longtemps avant d’appréhender ces corps nus dans leur entièreté, longtemps avant de les identifier, et donc longtemps avant de les remplir de nos projections. En étirant le temps, la metteuse en scène vient titiller une impatience, un vieux réflexe, celui de vouloir définir et nommer les choses.

Ici pourtant il s’agit de considérer les corps dans leur capacité à se métamorphoser. Dans le second tableau ce sont des images d’un shooting qui défilent pour jouer avec les codes de la mode. À travers cette série de personnages décalés, provocateurs, incarnés par les comédiennes Audrey Cavelius,Teresa Vitucci et Dominique Godderis, transformées, contorsionnés, étirées, habillées bdsm, hommes, femmes, transgenres, empaquetées et déguisées, la metteure en scène vient là encore agiter cette idée de soi comme perpétuel mouvement, à la manière de Cindy Sherman ou de Claude Cahun, elle explore ces identités pied de nez, grimacées, revendiquées, explorées, jouées, vécues... Et signe là sa volonté d’aller au-delà d’une simple évocation des Trois grâces.

Alors, la lumière diminue et les trois comédiennes s’emparent d’un téléphone portable et commencent – toujours nues – à se filmer. Les prises, uniquement des gros plans, sont montées en surimpression (on retrouve l’idée de collage présente dans le premier tableau), de sorte qu’il n’est pas possible de savoir ce que l’on voit. Est-ce un dessous de bras, un creux de genoux, un pli de fesse, le début d’un sexe, d’une bouche ou la pliure d’un orteil ? On ne donne pas à voir des corps lisses, mais plutôt des poils, des liquides, des replis, des nervures, des amas de chairs. Comme dans le premier tableau, le sens du corps et celui du corps social se perdent pour en montrer l’organique universalité.

C’est là la force du spectacle : le dispositif nous force à nous interroger sur notre rapport au corps, sur notre façon de les regarder, de les penser et de les envisager. Audrey Cavelius joue avec ce que le corps et ses stigmates suscitent comme représentations chez l’autre (un peu dans la lignée d’Adrian Piper). Ainsi, les comédiennes salueront nues. Rappels inclus. Un choix fort, qui pousse encore un peu plus vers cette idée fil rouge. Il y avait dans l’air une émouvante fébrilité : c’était délicat et réussi.

 

> Séries d’Audrey Cavelius a été présenté du 7 au 9 novembre au Centre culturel Suisse, paris

 

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