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C’est peut-être pour avoir trop entendu, enfant, que la musique « parlait aux Dieux » qu’il a toujours été difficile de poser des mots sur le moindre morceau. Mais ce soir-là, à Strasbourg, nous avions beau être dans une église, la musique n’était pas affaire de transcendance. Elle parlait d’abord aux humains, humblement assis sur des cousins répartis à même le sol, dialoguant avec les souvenirs de mélodies enfouis en eux. Car la musique de Caroline Shaw semble familière, tout en étant absolument nouvelle. La compositrice américaine de 39 ans s’amuse des ritournelles que nous avons en mémoire, chinant dans les répertoires de « grands classiques », du baroque jusqu’à la pop. Et lorsque nous attrapons un air connu au passage, un large paysage s’ouvre soudainement à travers lequel nous voyageons mentalement. Sous les doigts de David Violi, les notes d’une Mazurka de Chopin, camouflées dans une pelote d’autres mélodies, ramènent l’odeur de clémentine et le piquant de l’hiver. Ici encore, une vague impression de Marin Marais – le célèbre violiste baroque dont le film Tous les matins du monde retrace les débuts – qui déraille rapidement sous l’effet de percussions jouées sur des pots de fleur, tantôt telluriques, tantôt cristallines comme des gouttes de pluie. Quelques images du film The Hours se matérialisent derrière les paupières quand l’on croit reconnaître les Métamorphosis de Philipp Glass. D’ailleurs, il y a presque quelque chose de la métamorphose, dans l’engagement corporel des interprètes. Dans leur pizzicato, au violoncelle et à l’alto, Pauline Buet et Léa Hennino ont soudain quelque chose de félin, qui n’est pas sans rappeler les cosmologies animistes du grand Nord et ce temps du mythe où les frontières entre les êtres n’étaient pas aussi stabilisées qu’elles ne le sont devenues.

 

Si la musique, ce soir-là, avait quelque chose de chamanique, c’est aussi et encore parce qu’avec ses effets de citations enveloppées de techniques musicales bien contemporaines, Caroline Shaw fait vaciller la notion d’auteur, ce que l’ethnologue Charles Stépanoff, assistant au concert, n’a pas manqué de souligner. « En Occident, on a tendance à opposer tradition et subjectivité. Un vrai artiste, c’est quelqu’un qui rompt les conventions, rejette la tradition et construit son œuvre sur les cendres de ce qui s’est fait dans le passé. Pour le chamane, peindre des figures sur des tambours n’est pas une innovation mais une réappropriation individuelle d’une iconographie traditionnelle. À mon sens, la dilution du statut d’auteur dans les sociétés chamaniques ne doit rien au hasard. C’est comme si elles avaient pris leurs précautions contre le surgissement de la figure autocratique et imposante de l’artiste. » Quel est le pouvoir de la musique, se demande le directeur Stéphane Roth dans son édito ? Parfois, celui de remettre en cause, l’air de rien, des hiérarchies bien établies.

 

 

> Festival Musica, jusqu’au 10 octobre à Strasbourg

> Diffusion le 3 novembre à 20 h dans « Le concert contemporain », France Musique

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