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À l’instar d’Avril, votre première pièce jeunesse, l’action de Manger un phoque se déroule dans un foyer isolé, tandis que le monde extérieur semble glisser vers le chaos. Pourquoi vos intrigues se déroulent-elles dans des environnements hostiles ?

Sophie Merceron : « Quand je me mets à écrire, je ne pars pas d’un sujet mais plutôt d’un lieu ou d’une photographie. L’endroit de l’action est presque toujours la genèse de la pièce. J’aime ancrer mes personnages dans des paysages brutaux. Qu’ils soient urbains ou non, leur point commun est d’être tellement bruts qu’ils influent le caractère des personnages, leurs humeurs et leurs destins. Les personnages viennent ensuite. Ce sont en général des gens assez cabossés, puisque ce sont les fêlures qui m’intéressent. Ils n’ont pas vraiment les armes pour se défendre, restent plutôt au bout du plongeoir à grelotter. Ce ne sont pas non plus des rebelles. Dans Manger un phoque, cette ville qui s’endort sous la glace est presque un reflet de ce qui se passe dans la fratrie. Les trois adelphes sont aussi bruts que leur environnement, leur langage est aride et ils ont du mal à se parler, à se dire qu’ils s’aiment. La violence ne vient pas d’eux, mais des rapports qui les lient.

Dans Avril, le jeune protagoniste vivait seul avec un père démissionnaire. Avec Manger un phoque, la désertion des parents est cette fois totale. Pourquoi est-ce que vous mettez en scène des enfants laissés à eux-mêmes ?

S. M. : « Ce qui m’intéresse, c’est de voir comment des enfants, adolescents ou jeunes adultes peuvent se débrouiller sans qu’on leur ait donné les clefs du langage ni les clefs matérielles. La fratrie mise en scène dans Manger un phoque vit dans une grande précarité. Je voulais voir comment, avec de l’empathie les uns envers les autres, ils pouvaient quand même réussir à créer une famille. L’enfance ou l’adolescence est un endroit en devenir, un entre-deux, et c’est assez excitant pour l’écriture. Les deux aînés ne sont plus dans l’enfance, et du fait de leurs conditions, ils ont dû grandir trop vite. Mais ils ne sont pas non plus tout à fait des adultes, et ils ont encore des rêves presque enfantins. C’est finalement Picot, le cadet, qui rompt le cycle du silence en exprimant son besoin d’avoir, comme son frère et sa sœur, un souvenir heureux avec leur mère. Ce souhait est exaucé grâce au chauffeur de bus qui l’emmène sur la plage des souvenirs. On ne sait pas vraiment s’il s’agit d’un rêve ou de la réalité et j’aime jouer sur ce flottement.

Vous êtes auteure dramatique, mais également comédienne. Pourtant, vous préférez confier à d’autres la mise en scène de vos propres pièces.

S. M. : « Ma pratique de comédienne influence mon écriture, puisque je travaille beaucoup à voix haute et je répète inlassablement mes textes pour vérifier si ce sont les bons mots que je mets dans la bouche des personnages. J’écris mes textes dans l’idée de les voir montés au théâtre, mais l’endroit de la mise en scène ne m’intéresse pas. Et lorsque j’écris, j’essaie de m’affranchir de ces questions. Pendant la première étape de l’écriture des Pieuvres, la pièce que j’ai écrite à la suite de Manger un phoque, je pensais sans cesse à la mise en scène et à la faisabilité technique. Ce n’était pas un bon chemin pour moi. Il me semblait que ça écrasait tout, alors que les images que j’ai en tête sont très cinématographiques. Je ne veux pas me passer de rêver à des choses un peu gigantesques quand j’écris, et je fais confiance à l’imagination des metteur.e.s en scène pour les représenter. »

> Sophie Merceron, Manger un phoque, Éditions l’école des loisirs, septembre 2020

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