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Disons le d’emblée, le cru 2018 laisse plus qu’interrogatif. Nombre de pièces sont apparues déconnectées d’un terreau contemporain, que ce soit dans leurs positionnements esthétiques, politiques, leurs choix dramaturgiques ou même la qualité d’interprétation. Ce qui a de quoi surprendre, considérant que la ligne défendue par Spring Forward entend donner place à des chorégraphes catégorisés « prometteurs » ou « émergents » à l’échelle européenne. Heureusement, quelques propositions ont redoublé d’ingéniosité et d’humour pour saisir les ambivalences des comportements post-Internet.   

 

Énergies singulières

Entre deux pièces désastreuses sur les relations homme-femme qui entendent célébrer les tourments de l’amour et s’engouffrent dans des alignements de clichés révoltants, la norvégienne Hilde Ingeborg Sandvold arrive avec sa queue de cheval et chemise à motif panthère comme une bouffée d’air frais. Son Dans, for Satan est un hymne au pussy power qui ne mange pas de pain mais dont la folie potache a au moins le mérite de mettre les deux pieds dans le plat du post #metoo avec franchise et humour. De même à la fin de cette première journée, alors que le découragement commence à poindre, Nass (les gens) de Fouad Boussouf réveille le festival avec une vigueur bienvenue. Les sept interprètes y mènent la danse tambour battant. L’écriture mêle habilement les influences issues du hip-hop, du contemporain, des danses traditionnelles et les emprunts à la tradition soufi. Si bien que la proposition déroule un vocabulaire unique dont les sources rythmiques se renouvellent sans cesse. Les élans verticaux lient la terre (frappes des pieds, figures issues du break, rondes qui martèlent le sol en rythme) au ciel (sauts, élans) et les danseurs, incroyables, déploient une énergie folle et sensuelle à la fois.

 

Dans, for Satan de Hilde Ingeborg Sandvold. p. Yana Lozeva

 

Youtube game

Au second jour, le salut vient des écrans. Le duo Premier Stratagème explore le vaste monde des tutoriels Youtube pour en tirer un précipité bien ficelé intitulé Forecasting. Un Macbook Pro y figure une fenêtre sur le monde et incarne le seul partenaire en scène de Barbara Matijević. Le corps de la performeuse s’organise sans cesse autour de l’objet ordinateur qui devient extension d’elle-même, tout en déroulant une compilation savamment orchestrée d’extraits de vies connectées. Le montage habile fait se succéder des tutos pâtissiers à des séances de tirs à balle réelle, envisage nos rapports plus ou moins tordus aux animaux à nos fétiches plus ou moins avouables. Comme une opératrice qui déploie ses trouvailles avec application, Barbara Matijević entre en résonance avec les humains et objets à l’écran, et offre par sa rigueur empreinte d’humour une perspective réflexive sur une certaine folie de l’époque.

La catalane Nuria Guiu Sagarra fait aussi de Youtube le terrain de Likes, son essai chorégraphico-anthropologique. Interprète passée par la Batsheva ou les plateaux de Gisèle Vienne, elle signe ici son premier solo en analysant l’impact des réseaux sociaux sur l’image de notre corps. La danseuse-chercheuse s’est plongée dans le monde des vidéos de yogas et des cover dances, ces chorégraphies sur des hits pops, mises en ligne par des inconnus et destinées à être reprises à travers le monde. Likes s’avère une exploration du kitsch, de la copie et du pastiche, le tout placé sous l’égide du pouce en l’air comme validation suprême de soi-même. Si l’écriture est parfois flottante, la proposition portée par une danseuse aux qualités exceptionnelles éclaire de sa lumière tropicale la façon dont internet propose de nouveaux modes de chorégraphie. Et s’achève sur l’image amère du corps dansant devenu marchandise, soumis à la seule approbation d’un public.

Forecasting de Premier Stratagème. p. Yana Lozeva

 

Blanc

Lors de la dernière journée, la Norvégienne installée à Bruxelles, Ingrid Berger Myhre, déploie un temps de jeu avec son solo Blanks. Une pièce à trou, dont il convient de remplir soi-même les « blancs », le rien, lorsque l’image est suggérée par un texte qui défile ou que le corps s’est absenté du plateau. Sur un registre léger et enfantin, elle danse une langue des signes inventée par ses doigts vernis de rouge, bondit d’un motif à l’autre, entre et sort d’une boîte géante installée sur scène, noue un ballon en forme de caniche, prend un polaroïd qui révèle une image cachée. Chaque fois qu’un geste ou un objet apparaît et suggère un sens, un déplacement ou un twist final ouvre à une autre signification. Ingrid Berger Myhre crée la vacance pour faire de nos imaginations la clé de la réception. Dans une esthétique Instagram, l’ingéniosité de son écriture et les surprises qui en jalonnent le cours font mouche.

 

 

> Spring Forward a eu lieu du 23 au 25 mars à Sofia, Bulgarie.

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