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Un à un, les spectateurs prennent place. Dans les deux allées, Raphaële Thiriet et Melina Stinson, un grand sac plastique transparent sur leurs vêtements, scrutent les visages de celles et ceux qui viennent les voir. Elles s’approchent d’une personne puis d’une autre, et encore d’une autre selon un choix qui paraît aléatoire et, pourtant, leur questionnement sème le doute : « Nous réalisons une étude sur le public ce soir. Accepteriez-vous d’y participer ? … Vers laquelle de ces deux images êtes-vous le plus attiré.e ? … Lequel de ces deux mots… » Elles notent scrupuleusement chaque réponse. Vous tendez l’oreille, curieux de l’objet de cette étude mais le brouhaha vous empêche d’en entendre davantage, de comprendre. Seule la phrase déjà décryptée – « Nous réalisons une étude sur le public ce soir… » – passe le mur du son de proche en loin et résonne à vos oreilles. L’intrigue se noue là, dans ce que l’on saisit ou pas. Frédéric Lavallée, assis de trois quart à un bureau en presque bord de scène, pareillement plastifié, tape sur le clavier d’un ordinateur. Vous aimeriez lire par-dessus son épaule mais vous ne pouvez pas. L’intrigue se noue là, dans ce que l’on voit ou pas.

Et puis la déclaration est faite, les trois comédiens face public annoncent la couleur : nous sommes dans un laboratoire, il s’agit de savoir avec quelle partie de notre cerveau nous appréhendons la réalité : le côté gauche – le cerveau rationnel, lieu de la logique – ou le côté droit – le cerveau sensible, lieu des émotions – ? Le but de nos trois docteurs étant de chercher à équilibrer tout cela (vraiment ?). Le protocole mis en place : le cat brain phenomenal  (un casque reprenant les qualités uniques du chat quant à la reconnaissance faciale instantanée) censé nous livrer à une expérience de rémanence sensible.

 

Expérimentation de langages scéniques multiples.

S’enchaînent alors trois heures de performances en trois séquences désignées comme autonomes, n’en restant pas moins définies comme trois cycles de la vie d’une supernova. Rappelons qu’une supernova est l’explosion cataclysmique d’une étoile massive s’accompagnant d’une augmentation fantastique de sa luminosité, visible bien longtemps après sa disparition effective. L’effondrement final de celle-ci porte en elle les échos d’un monde contemporain déjà mort, emporté par l’accélération des nouvelles technologies, ses excès et la dévastation de la terre qui l’a vu naître. Ainsi les prises de parole, micros en mains, ont-elles parfois des airs de manifeste, interpellant les consciences. Ou plutôt « la conscience de la conscience »…

 

Bien averti.e celle/celui qui saurait aller déclarer cette supernova au Bureau Central des télégrammes astronomiques de l’Union astronomique internationale…. Car cette Supernova est une création « multi» : multidisciplinaire, multimédia comme il est écrit sur le programme. « Multi » comme pour nous dire attendez-vous à tout ou cela ne ressemble à « rien » (d’établi). Comme dans l’univers où les inverses se rejoignent, l’infiniment petit et l’infiniment grand. Nous voilà exposés à des expériences scéniques parfois saturées, jouant du synesthésique et du synesthétique. Un univers sonore mis en forme en direct par la composition musicale envoûtant de Ian Jarvis, présent sur scène, et la voix chantée de Raphaëlle Thiriet qui traverse la matière. Un univers lumineux composé de faisceaux, de nuées et d’images projetées travaillant les décalages temporels et les simultanéités. Un univers de formes par une mise en jeu du plateau au moyen des objets et des corps animant un chaos bien organisé.

 

Effet spectral

Les artistes sur scène n’incarnent pas de rôle ou de personnage mais davantage des états de corps ou d’être-au-monde cerveau – le corps mouvant, l’être en situations, le vibratoire, tentant de concilier le verbe et le geste, la partie gauche et celle de droite. Supernova Trilogy invite le spectateur – objet, sujet et acteur de la recherche – à s’interroger sur son vécu en tant que tel : ainsi exposé artistiquement, quelle est la rémanence des images visuelles, quelles sensations subsistent, quels mots durent après la disparition de l’excitation qui leur a donné naissance ? Selon nos singularités, le pari peut être fait que les traversées seront différentes. Embarqué.es par le mouvement dansé et organique de Mélina qui nous fait nous sentir pleinement vivant, par la tessiture de voix de Raphaëlle et la musique de Ian Jarvis qui ouvrent d’autres dimensions à notre être ; saisi.es par les narrations dystopiques qui transpercent les réalités. On peut aussi arrêter de chercher à comprendre le sens pour se laisser à sentir et saisir ce qui vibre.

 

 

> Supernova Trilogy de Mark Lawes et Raphaële Thiriet avec la Compagnie Theatre Junction, du 10 au 12 octobre au FAB, Bordeaux ; du 23 au 26 janvier au Theatre Junction GRAND, Calgary (Canada) ; du 21 au 23 mars à l’Usine C, Montréal (Canada)

> Les Francophonie en Limousin a eu lieu du 26 septembre au 6 octobre

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