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Avec Speechless Voices, Cindy Van Acker rend hommage à un ami disparu : le compositeur de musique électronique Mika Vainio. Avant même que les danseurs n’apparaissent sur scène, la chorégraphe pose symboliquement, et avec une infinie douceur, un vinyle sur la platine. La musique éclate alors, extrêmement forte, pour se faire présence de l’être aimé. Si Cindy Van Acker ressuscite Mika Vainio aux oreilles du public, elle inscrit visuellement et par contraste, sa douleur. Les silhouettes des danseurs sont anguleuses, leurs mouvements, tantôt saccadés tantôt lents – mais toujours dans l’idée d’une blessure vive ou figée – s’inscrivent dans un rituel. Peut-être pour permettre à l’être qui vit encore, à celui qui reste, de fixer son chagrin.

Pour rendre la souffrance palpable, Cindy Van Acker s’est inspirée des toiles de l’artiste belge Michaël Borremans, dont les racines remontent à la peinture flamande et plus particulièrement à Bruegel. Des portraits tourmentés aux expressions extatiques des danseurs, la filiation est claire. Et le travail de Cindy Van Acker rend superbement visible, et en un seul geste, la lumière tranchée d’une douleur sombre. Les corps se retrouvent ainsi plongés au cœur des représentations historiques de la douleur.

 

Du chant et du corps

C’est tout l’inverse qui se produit dans l’œuvre de Daniel Hellmann, Requiem For A Piece Of Meat. La danse, volontairement expérimentale, n’est que spasmes, muscles, nerfs ou suspensions de membres, à l’image des cadavres de Francis Bacon. Les corps respirent la peur de la mort et reflètent l’œil vitreux de l’animal, parfaitement conscient de vivre ses derniers instants, à l’abattoir. Pour accompagner leur agonie, le jeune chorégraphe a opté pour une forme de composition musicale classique : celle du requiem. Écrit par le Lukas Huber et interprété à la viole de gambe par l’ensemble baroque Novantic Project Basel, ce dernier permet de structurer le giclement et l’éparpillement constants des corps.

 

Requiem For A Piece Of Meat de Daniell Hellmann p. Nelly Rodriguez

 

De son côté, avec My soul is my Visa, Marco Berrettini s’inspire des mouvements de la soul et du funk pour dénoncer non pas l’insatiabilité de l’être humain mais le racisme. Immergés dans un dispositif aux couleurs vives, les cinq danseurs secouent leurs corps dans une dynamique d’où l’on sent poindre petit à petit la vitalité et l’organicité. Tour-à-tour, abandonnant quelques instants leur danse, ils vont chanter et jouer du piano : leurs voix sont singulières, pas toujours travaillées mais pourtant pleinement incarnées. Bien que le chant ne cherche pas ici ses lettres de noblesse, comme chez Daniel Hellmann où la technique était infaillible, la performance est remarquable : les interprètes libérés de tout complexe onomatopent, et leurs voix se matérialisent hors du corps.

 

Crise de rire

Avec cette idée que le rire - comme le chant - est une autre porte de sortie du corps, Lea Moro explore les principales formes de divertissement actuelles, sur le modèle du parc d’attraction. FUN ! transcende avec une profondeur admirable la fuite des émotions humaines, par l’exposition de notre besoin de superficialité. Dans une esthétique épurée, les danseurs deviennent des chevaux de manèges, roulent sur le sol en plein “bad trip”. Ou, semblent perdus dans leurs souvenirs qu’ils partagent parfois, par des récits enchâssés dans le bonheur d’une décadence ludique, et, parlant de leurs pulsions perverses, lâchement assumées. Les tours de magie, qui prennent en otage les spectateurs secoués de rires incontrôlables, constituent le point culminant du spectacle. Au pays d’un amusement qui se paie d’une profondeur extrême, Lea Moro parvient à réinvestir, dans une performance presque totale, leurs significations, les pratiques de la danse, du théâtre et de la magie.

 

> Suiss dance days a eut lieu du 6 au 9 février à Lausanne ; FUN ! de Lea Moro le 19 mars au Théâtre de Vanves dans le cadre du festival Artdanthé

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