CHARGEMENT...

spinner

Depuis le hall du théâtre déjà, les battements de la scène parviennent aux oreilles, préparent l’amarrage au plateau. Sur scène, un guitariste joue en solo, peut-être une impro. Captés par un rythme posé avant l’entrée en salle, le joyeux public d’un samedi après-midi poursuit les conversations jusque dans les gros fauteuils, s’enquiert de la petite cousine et du nouveau boulot. Puis vient l’arrivée en fanfare des 17 autres musiciens, procession lente où dominent les instruments à vent. L’ensemble enfin se place en demi-cercle face au public, dans une disposition fidèle au concert classique.

Outre les estrades bricolées en bois brut, c’est surtout l’accoutrement des musiciens, et bientôt l’absence de chef d’orchestre, qui attirent l’attention. La fantaisie d’un chignon haut, la coquetterie dégenrée d’une robe à fronces, les mouvements de hanche qui battent la cadence annoncent l’irrévérence aux conventions de la queue de pie. Des flûtes, des trompettes, du soubassophone, des saxophones encore soufflent un rythme vif et joyeux, une force palpitante et polyphonique dans la belle veine d’une Fanfare Invisible.

Partition portée par les vents, réveillée par les percussions et la batterie, chamaillée par les cuivres, la mélodie collective respire par tous les musiciens qui s’agitent et rejouent en continu l’organisation du groupe. L’équilibre fourmilier si joliment mené s’emballe à l’arrivée d’une autre bestiole, grosse et molle, aux allures microbiennes. Accueillie quand même par respect du vivant, la chose s’incruste sur la scène, approche les musiciens et les réduit par l’avantage des proportions. Le vent tourne, l’animal se gonfle et menace, les sonorités s’aggravent et répètent à la chaîne les échos des Temps modernes.

De ses orifices rectaux aux pourtours souillés de s’être trop gavée, la masse monstrueuse dévore l’espace et menace bientôt ses petits accueillants. La résistance s’organise, accorde les sons, insuffle l’auto-gestion, et terrasse enfin la bête. Et maintenant, que faire ?

 

 

Passe-murailles solidaires

Pour ça, le Surnatural Orchestra a bien quelques idées, parmi lesquelles celle, surtout, d’une autre façon de les proposer. Le quatrième mur mis en pièce, c’est à la salle que l’orchestre veut causer, et pas la langue de bois. Dans les fauteuils, c’est qui, c’est quoi ? Et venez donc sur scène directement, que l’on s’entende un peu. En comité perlé, une première délégation de spectateurs gagne le plateau, prend le micro, fait porter d’autres voix. Par la relance bienveillante d’un bouffon pas bêta, d’autres fauteuils se libèrent, d’autres corps gonflent les rangs dissidents.

Bientôt, c’est un bal qui s’organise sur la scène : on y mange, on y danse, on s’y retrouve et y papote. Occupation vivante et habitée, friche humaine poussée sous les projecteurs, Tall man donne à voir le spectacle simple et précieux d’une forme-vie, où le spectateur n’est jamais manipulé en sujet réifié, mais toujours approché en subjectivité autonome. Jusqu’à ce que la politesse de l’invitation, l’entrain des musiciens, la convivialité qui anime la scène rendent impossible la paresse d’observer, passif, les premiers fruits de l’entreprise collective.

Déchargés de l’illusion théâtrale, les musiciens de Tall Man se jouent des frontières esthétiques, puisent dans la connivence des concerts pour oser un jeu ambitieux et interactif, au plus près du public de théâtre. Pièce expérimentale où l’attention première va au dispositif, Tall man s’avère une proposition cohérente et incarnée, d’où les spectateurs devenus assemblée ne semblent plus vouloir se déloger.

 

 

>Tall Man du Surnatural Orchestra a été présentée du 16 au 22 novembre au Nouveau Théâtre de Montreuil, dans le cadre du festival Mesure pour mesure ; le 21 mars à Dieppe Scène Nationale

Lire aussi

    Chargement...