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Un artisan, chapeau de paille vissé sur le crâne, peignant méticuleusement des noix de coco aux couleurs d’un ballon de foot, un autre tissant des tours Eiffel en perles ou un dernier confectionnant d’immenses tournesols au bord d’une route. De prime abord, certaines œuvres de Thierry Fontaine pourraient rapidement être rangées dans la case « photos de vacance ». De prime abord seulement, car rapidement on se rend compte que quelque chose cloche. De la mise en scène au cadre, tout semble trop net, trop maîtrisé, et puis avouons-le, nous sommes dans un centre d’art, pas devant la séance diapo d’un ami de retour de voyage à Bali. D’ailleurs Thierry Fontaine ne voyage pas mais se « déplace », selon sa terminologie. De la Réunion, d’où il est originaire à l’Océanie en passant par l’Afrique du Sud, ce sculpteur passé par les Arts déco de Strasbourg s’appuie sur les formes et les hommes qu’il croise sur sa route pour faire émerger ses « rêves éveillés ».

 

Thierry Fontaine, D’un soleil à l’autre. p. de l’artiste, courtesy Les filles du calvaire, Paris

 

Économie de moyen

Un déplacement géographique autant que sémiologique qu’il opère systématiquement dans ses clichés, dont il maîtrise la construction de bout en bout. En peuplant ses images de vrais-faux artisans occupés à façonner des œuvres qu’il a lui-même créé, Thierry Fontaine déconstruit dans un même mouvement dialectique la fascination exotique envers l’artisanat local et l’aura magique qui entoure l’artiste et son processus créatif. « Je fabrique des objets dans le but de les photographier et de les mettre en scène, explique-t-il. Le fait de ne pas les montrer en vrai créé une frustration mais en même temps je donne autre chose : révéler la fabrication de l’œuvre transpose mes visions sur le plan du possible. »

Si dans sa pratique sculpture et photographie sont intrinsèquement liées, l’artiste explique que c’est avant tout pour des raisons logistiques. « Je devais trouver une solution pour faire vivre mon œuvre en dehors de l’île, confie-t-il. Faire voyager l’artiste ne pose pas de problème mais le transport d’œuvre d’art coute extrêmement cher. Je me suis inspiré des artistes du land art qui photographiaient leurs idées pour diffuser leur travail. » Une économie de moyen revendiquée qui se retrouve aussi dans ses clichés représentant des visages et des corps recouvert de glaise, et où, quand il ne se met pas lui-même en scène, mobilise ses amis. De ces masques de terre ou de plâtre qui relèguent le modèle au simple rang de support, se dégage des émotions ambiguës. Tour à tour refoulement d’un cri primaire ou allusion biblique à la création de l’homme, l’artiste laisse le champ libre aux interprétations tout en évitant soigneusement le discours clef en main. « Utiliser ces matériaux était avant tout pour moi une manière de revendiquer mon identité de sculpteur », lâche-t-il prosaïquement.

 

Thierry Fontaine, Porter la terre. p. de l’artiste, courtesy Les filles du calvaire, Paris

 

Syncrétisme

Plasticien avant tout. Thierry Fontaine joue avec les matériaux pour créer des situations impossibles. Des aberrations physiques, à l’image de ce feu de camp constitué d’ampoules en verre, de ce miroir étrangement criblé de clous ou encore de cette chaîne de métal en pleine combustion, une œuvre intitulée Abolition. Dans une autre série, l’artiste photographie des masques cérémoniels africains sur lesquels des cierges fondus placés dans les orbites donnent l’impression qu’ils pleurent. « Bien sûr ces photos rejoignent mon histoire personnelle : celle de la Réunion et de la colonisation et de l’esclavage. Mais ce n’est pas mon cheval de bataille, encore moins mon fonds de commerce » se défend-il tout en arguant que les missionnaires n’étaient pas venus uniquement pour « vendre des crucifix » mais bien pour  « changer l’esprit des gens ».

Plus fasciné par la symbolique hybride, le syncrétisme et l’interculturalité induite par la colonisation que leurs rapports politiques à proprement parler, Thierry Fontaine qui refuse toute prétention au militantisme, s’approche davantage d’une anthropologie culturelle que des études postcoloniales. Ses œuvres sont d’ailleurs truffées de références à une ethnologie très début XXe siècle, à l’image de ces coquillages rappelant la Kula, ce système d’échange en Nouvelle-Calédonie cher à Malinowski. Mais s’il avoue s’être intéressé à la discipline, là aussi l’artiste botte en touche : « Je n’ai peut-être pas assez lu Levis Strauss. »

 

> Thierry Fontaine, Les Pluriels Singuliers, jusqu’au 23 décembre au CPIF, Pontault-Combault

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