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Ça vous agace que l’on puisse dire de votre danse qu’elle est « conceptuelle » ?

« Je n’ai jamais su ce que ce terme voulait dire dans le champ de la danse. Si on se réfère à « l’art conceptuel », autoréférentiel – l’énonciation de quelque chose devient la chose, l’idée, c’est l’art lui-même – alors cela fait contre sens à partir du moment où l’on répète nos pièces en studio pendant un certain temps. Si on prend le mot "concept" d’un point de vue philosophique, je ne comprends pas non plus comment on peut l’appliquer à la danse. Je ne connais aucune danse qui n’aie pas de concept : les danses de Pina Bausch ont un concept, celles de Merce Cunningham aussi etc. C’est un terme qui soulève des questions, c’est bien. Mais cela pose un problème quand il vient déterminer, fixer quelque chose.

 

Le titre This is not a concept semble aussi être un clin d’œil ironique à la « non-danse », ce mouvement chorégraphique français des années 90, théorisé par la journaliste Dominique Frétard dans un article plutôt négatif paru dans Le Monde en 2004.

« Ce qualificatif de « non-danse » a été posé trop vite, et en faisant l’économie d’observer réellement ce qu’on faisait. La non-danse définit en creux, c’est un processus d’exclusion. Beaucoup d’artistes qui ont été mis dans cette catégorie-là, moi y compris, ne cherchaient pas à faire quelque chose qui ne soit pas de la danse, c’était pas du tout l’intention. Le sous-texte de cette catégorie c’est qu’il y a pas de mouvement alors qu’une de mes questions centrales était justement : comment un corps bouge, comment on peut le faire bouger ? On peut tout de même comprendre, cependant, ce qui a amené certains à dire que mon travail est de la « non-danse » : beaucoup de mes pièces n’utilisent pas un vocabulaire de danse préexistant.

 

Comment devient-on chorégraphe quand on est docteur en biologie moléculaire comme vous l’avez été ?

« J’essaye de déployer cette transition dans ma pièce Produit de circonstance. Je travaillais dans un laboratoire de biologie, ce qui était une expérience assez frustrante, et j’étais aussi dans un moment de trouble individuel et émotionnel, lié à une histoire d’amour traumatique. Dans le même temps je commençais à prendre des cours de danse. Le fait que j’habite Montpellier, avec son festival, son centre chorégraphique, m’a donné accès à cela. On est tous des produits de circonstances, la construction d’une personne et de ses désirs est un mélange de causes et de situations.

 

Qu’avez-vous gardé de ce parcours scientifique ?

« Curieusement, c’est un univers académique que je retrouve aujourd’hui, après 30 ans, car je suis devenu professeur à l’université des sciences appliqués du théâtre à Giessen en Allemagne. Pour ce qui est de la création, je me dis qu’on ne peut pas oublier, même avec la plus grande volonté, 10 ans d’études qui forgent une façon de penser, d’approcher et regarder le monde, de chercher.

 

 

Produit d'autres circonstances de Xavier Le Roy p. Luc Vleminckx

 

« Qu’est-ce qu’on peut faire ? » est une question que vous posez au sujet mais aussi au dispositif théâtral lui-même. Avez-vous l’impression d’en avoir fait le tour ?

« Sans titre (2014) part de cette question : que permet la situation théâtrale, que d’autres situations ne permettent pas ? Quelles opérations révèlent ses richesses ou ses limites ? À moins que l’on décide que le théâtre c’est fini, qu’on en a fait le tour, que cette façon d’être ensemble n’est plus actuelle, il faut continuer d’interroger ces espaces. Le théâtre permet de se retrouver pendant une durée extrêmement longue comparé au temps que l’on passe avec d’autres sur Internet par exemple. C’est un régime d’attention différent qui n’est pas du tout épuisé.

 

Temporary Title (2015) est aussi une tentative de passer un long – voire très long – moment ensemble.

« On s’y demande comment représenter les corps. Au-delà de l’humain, que peut devenir un corps ? Cette tentative de transformation peut-elle nous permettre d’être ensemble d’une autre façon ? En tant que performeur et visiteur, on cherche sa position, sa place, elle n’est pas forcément évidente ni donnée. J’ai des difficultés à le faire entendre, mais ce n’est pas un spectacle, c’est une exposition et c’est important que les gens viennent avec cette idée en tête, car on peut y entrer et sortir à n’importe quel moment.

 

Cette liberté de temps donnée au visiteur, c’est ce qui différencie le spectacle de l’exposition ?

« C’est un paramètre important. Au théâtre on peut aussi partir évidement, mais on comprend bien que les conditions ne sont pas faites pour ça, que le sens d’un spectacle se développe sur une durée qui a été prévue et que les spectateurs sont invités à être là au début et à la fin pour saisir ce qu’on veut dire. L’autre grande différence c’est que dans une exposition, la place du public est souvent déterminée par les œuvres qui partagent le même espace que les visiteurs, à l’inverse du théâtre. Il y a évidemment des contre-exemples, mais génériquement ça se passe comme ça.

 

Vos pièces mettent en doute ce qui est établi, ce qu’on entend, ce qu’on voit, ce qu’on sent. Dans cette perpétuelle reconfiguration, avez-vous tout de même des certitudes ?

« Mes pièces sont motivées par des questions, je n’ai aucune certitude. J’essaye d’approcher les choses sans jamais les considérer comme acquises. Faire de l’art c’est prolonger et travailler cet élan-là, c’est un moyen de transformation. On pourrait se dire que c’est motivé par une peur de fixer les choses, donc une peur de mourir d’une certaine manière. C’est un raccourci, mais il y a de cela, ce qui est aussi un contingent de l’art vivant.

 

Self Unfinished (1998) est souvent considéré comme un solo signature de votre travail. Que représente-il pour vous aujourd’hui ?

« Quand j’ai montré cette pièce pour le festival d’un ami en Allemagne de l’Est, je pensais que ce serait montré deux fois. Ça fait maintenant plus de 20 ans qu’il tourne. Cette pièce permet de voir comment on se transforme, elle est devenue quelque chose qui me dépasse, c’est surprenant pour moi aussi, elle a été beaucoup utilisée, discutée. Elle devient une signature mais cela représente aussi une difficulté : la signature vient avec une limite, après cette pièce il y a eu une attente que j’ai dû détourner d’une façon très volontaire dans la pièce suivante Produit de circonstance qui était une façon de travailler des questions similaires mais avec un format très différent, façon conférence. Il fallait éviter que la signature devienne une recette.

 

Vous travaillez en solo ou avec des très grands groupes, les autres compositions ne vous intéressent pas ?

« J’éprouve la nécessité d’être d’un côté seul devant un public, et de l’autre de travailler avec le collectif. Le fait de le faire si possible avec plus de 10 personnes c’est pour porter l’idée de groupe de façon plus complexe. Un trio, un quintette c’est la cellule familiale, pour 10 ou 15 ça peut encore être une famille mais ça peut être un groupe d’ami, de collègues, ou l’école. Il ne faut pas se le cacher, l’économie de la danse favorise le travail solitaire. Plus c’est petit, plus c’est flexible.

 

Vous allez jusqu’aux frontières de l’humain dans Temporary title, et du corps dans Self Unfinished. Que trouve-t-on à ces limites ?

« Notre relation à ces choses-là, justement. »


 

Propos recueillis par Léa Poiré

 

> Répertoire Xavier Le Roy This is not a concept, du 11 au 29 mars au CN D, Pantin

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