CHARGEMENT...

spinner

Comment naissent les fictions ? Et par quel mystère sommes-nous parfois aussi profondément affectés par la disparition d’un personnage de roman que par celle d’un proche ? C’est dans une chambre à soi bien particulière, meublée d’une table en formica, d’une lampe de chevet au charme désuet et d’une caverne de papier que l’artiste convie le public à enquêter sur quelques-unes de ces épineuses questions.


Avec la précision du scalpel, Alice Zeniter dissèque minutieusement les moindres détails de la mise en récit permanente de la réalité. Pour cette experte en sémiologie, qui excelle dans l’art de rendre limpide une pensée complexe, rien de plus simple que de passer d’une référence à l’autre. Le long d’une démonstration nourrie de grands classiques littéraires et autres figures tutélaires, elle saute allégrement de La poétique d’Aristote aux derniers ouvrages de Baptiste Morizot, d’Umberto Eco à la notion de story telling, et jongle sans cesse du récit intime au vrai-faux cours magistral. Entre précision des termes et diction parfois proche du slam, la jeune femme habite l’espace, invective l’audience ou confie son goût immodéré pour le texte. Lorsqu’elle convertit la structure sémantique d’un triangle narratif en une montagne à gravir elle prouve le pouvoir de la narration et combien celle-ci façonne chaque facette de notre rapport au monde. Taclant au passage quelques grandes sources masculinistes, Alice Zeniter va même jusqu’à décrire comment des siècles de fictions ont conduit au formatage des esprits.


Durant plus d’une heure, se déroule ainsi le fil d’une pensée dense et dont le rythme parfois haletant, souvent touchant, nous emmène loin dans l’imaginaire : depuis les tréfonds de la préhistoire, en passant par la portée politique de la dette publique jusqu’aux effluves des sous-bois où l’artiste aime se promener après la pluie. Loin de la figure de l’autrice dont le corps serait réduit à un hyper cerveau pensant, Alice Zeniter affirme haut et fort l’engagement physique, celui du corps tout entier nécessaire à l’écriture. Et c’est en cela que Je suis une fille sans histoire ne réussit pas simplement à nous convaincre de l’immense pouvoir de la fiction, de son hyper présence, elle le décuple littéralement en lui conférant par le partage à la scène, l’épaisseur de la chair et du vivant.

 

Je suis une fille sans histoire, du 15 au 20 mai, au Théâtre Public de Montreuil dans le cadre de la soirée Regards croisés

Lire aussi

    Chargement...