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En pré-générique, une scène de liesse de supporters de l'équipe de France, championne du Mondial de foot 2018, semble s'inspirer du tableau de Delacroix, La Liberté guidant le peuple (1830). Victor Hugo situe la rencontre nocturne de Jean Valjean et de Cosette à la fontaine de Montfermeil, près de Chelles, qui n'avait à l'époque rien à voir avec la Cité des Bosquets. L'écrivain parle d'un « endroit paisible et charmant qui n'était sur la route de rien ». Il s'est rendu à maintes reprises dans ce qui est devenu le 9-3 puisqu'il a dessiné l'abbaye de Chelles et a été aperçu par des témoins en compagnie de Juliette Drouet prenant la diligence à Pantin...

Un ordre relatif règne aux Bosquets qui, surtout en période de vacances, repose sur des autorités autres que les parents ou les profs : la police, tout d'abord, avec un trio de flics de la BAC, chacun d'eux d’antécédents et d'état d'esprit très différent, qui patrouille dans une Peugeot grise banalisée. La caméra de Julien Poupard s’embarque à bord ; on croise le représentant officieux des commerçants du marché ironiquement appelé « Le Maire », le leader charismatique des frères musulmans qui a pour couverture un kebab, le chef des dealers tenancier de boîte de nuit.

Les embrouilles commencent, faute de quoi le film serait sans enjeu. On bizute le nouveau flic, qui cherche à respecter les formes (vouvoiement, port du brassard, excuses le cas échéant). Le petit chef de l'équipée le surnomme Pento en raison de sa coiffure et lui confie des tâches absurdes. Un des gosses d'apparence sage (il est binoclard) passe son temps à mater ses petites voisines au moyen d'un drone. Dans les appartements, des femmes s'adonnent à la tontine. Les trois flics évitent de justesse une bataille rangée entre les Gens du voyage et la bande dudit Maire pour le kidnapping de... Johnny. Le chef du trio se fait fort de résoudre l'énigme pour calmer les esprits. L'enquête alors commence...

Un des intérêts de l'opus est de traiter non du soulèvement de la jeunesse, mais de celui de l'enfance, autrement dit de cette tranche de la population qu'un ancien ministre de l'Intérieur qualifiait de sauvageons. Ainsi, un événement somme toute mineur, le chapardage d'un lionceau dans un cirque de passage par un sale gosse qui fait le désespoir de son paternel prend une dimension épique, tragicomique. On pense alors à la série Les Petites canailles (Our Gang), réalisée du début des années 1920 à l'arrivée du parlant par Hal Roach et aux films soviétiques sur les enfants des rues, à celui d'Helen Levitt, In the Street (1948) et aux chefs d'œuvre de Jean Vigo (Zéro de conduite, 1933) et de Buñuel (Los Olvidados, 1950).

Sauf qu'ici, l'insurrection est à l'échelle de la ville. À cet égard, la séquence finale, spectaculaire, sans doute trop, complaisante comme pouvait l'être le film La Haine tout entier – sans parler du naveton Dheepan primé-palmé ici-même il n'y a guère (en 2015). Pour se venger d'une violence policière à laquelle le pouvoir actuel nous a habitué (tir de flashball à bout portant), une petite armée d'encagoulés met le feu aux poudres, tire au mortier sur les représentants de l'ordre : celui des marchands du temple, celui des trafiquants de drogue et celui des flics de base. Curieusement, est épargnée de la vendetta l'autorité religieuse. Le film, à cette réserve près, est une réussite étonnante. Les deux scènes avec les gitans valent à elles seules le déplacement.

 

 

> Les Misérables de Ladj Ly, sortie prévue 2019

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