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Est qualifié d’« émergent » un artiste jeune ou récemment diplômé – le terme est vague en fin de compte. Quand s’arrête-t-on d’émerger ? Lorsqu’on vit de sa pratique et qu’on a quitté son side job ? Qu’on a mené sa carrière dans le secteur jusqu’à la quarantaine ? Pour bien des artistes de cette 6e édition de 100% L’Expo, l’étiquette a quelque chose de réducteur. Elle atténuerait même la réception d’un travail déjà arrivé à maturité. Signe de leur assurance, bon nombre de jeunes plasticiens programmés cette année ont fait le choix du dépouillement : cuir, bois, métaux, les matières sont mises en valeur dans leur caractère brut. Un retour à l’essentiel, à l’intime, après une session 2023 encore marquée par l’indécrottable esthétique post-internet et sa surenchère flashy.

 

Sensuels rituels 

 

La Grande Halle se fait black cube surdimensionné pour l’occasion. Sur fond noir, les œuvres se découpent. Première créature à en surgir : le monstre rouge aux contours abstraits de Yue Sun. Cette grosse peluche se dresse et s’incline sans cesse – on croirait ses mains liées. Une façon de revisiter le modèle de « l’orant », ces statues en position de prière visibles dans les églises. Sans cloison, les différents travaux exposés déteignent les uns sur les autres. À proximité directe, on retrouve des totems dont les excroissances donnent des seins tels des fruits poussés d’un arbre. Et c’est d’ailleurs d’un comestible, la calebasse (courge dont la coque en séchant devient aussi dure que du bois), que sont faites ces sculptures. Carla Gueye s’inspire ici des « arbres à palabres » autour desquels on se rassemble, transmet des histoires ou confesse ses problèmes dans la tradition sénégalaise. Encore une réalisation prenant le chemin du rite. L’artiste comme le croyant répète des gestes répétitifs mais investis de sens. Méditation, concentration, recentrage. Et si cela disait quelque chose d’un désir d’en faire moins pour en dire plus – qui passe, notamment par une exploration de la matière silencieuse et non moins magique.

 


Yue Sun, Dans quelle posture allons nous dormir ce soir?, 2023,  100% l'expo © Florent Michel 



Silencieuse et éloquente quand on peut la toucher, la manipuler, la sentir. Dans l’aile gauche de l’exposition, deux œuvres déclinent le motif de la selle. De son côté, Théo Pézeril performe autour d’un siège de moto qu’il caresse. Du leur, Anastasia Simonin et Kazuo Marsden laissent au spectateur l’initiative du geste. Une selle de cheval est suspendue à la verticale, imbibée de parfums. Écrasée façon chopped & screwed, la voix de Madona invite à rapprocher notre visage au plus près. La selle devient un pont tendu entre l’humain et l’animal, l’intellectuel et le sensible. Ce cérémoniel suggestif ne s’arrête pas là. Deux manettes aux formes suggestives complètent l’installation – « un érotisme pour les mains », selon Anastasia Simonin. Non cirés, les objets sont censés se patiner à la graisse des mains, au gré des contacts.

 

Formes revenantes 

 

À force d’incantations surviennent des apparitions : quelque part une télé grésille. Sous celle-ci, une chaise vide. Dans le même périmètre, un réveil : il indique « 15h03 ». Le temps est figé dans ce dispositif de Gaspard Postäl. On se surprend à rattacher cette série d’effets personnels à leur propriétaire – absent, voire regretté. Moins flashy, cette sixième édition laisse aussi une plus grande part à l’intime. On s’invite chez l’autre : dans sa sphère privée.   Le lieu de vie – et ses occupants, présents ou disparus –, est investi.

 

Pour y trouver qui ? Une bande de filles affalée sur leur lit ou un doomer qui fume à sa fenêtre. Par une série de portraits réalisés en Ukraine, Daria Svertilova saisit la jeunesse de son pays : des individus qu’elle contacte sur Facebook avant de les rencontrer dans leurs intérieurs tapissés de posters ou des halls impersonnels. Accroché en vis-à-vis de ces visages juvéniles, un autre portrait, celui d’un ensemble architectural brutaliste d’Odessa – écrasant. Pour certains de ses modèles, ces images sont le dernières traces de leur passé. Par temps de guerre, les murs tombent et l’intime se casse la gueule. Sur des rectangles de plexiglas réfléchissant, à peine discernables, Garance Butler-Oliva évoque l’image des « mamads », ces bunkers froids en béton de plain-pied qui servent d’abri aux Israéliens en cas de bombardement. Recouverts d’un filtre miroir, ces panneaux sont à peine lisibles. L’inverse des images qui défilent dans l’actualité : aucun corps, rien à voir. Tout ce qu’on observe, c’est notre propre regard : scrutateur et voyeuriste. 

 

100% L’Expo, exposition collective jusqu’au 28 avril à la Villette, Paris

 

Repenser l’enfance : le 13 avril dans le cadre de 100% L’Expo, une après-midi autour des représentations de l’enfance dans l’art, comprenant Kids #1 de Joachim Maudet, une performane de Studio Martyr et une table ronde autour du travail de trois artistes de l’exposition (Heloïse Farago, Solveig Burkhard et Jeanne Yuna Rocher), modérée par Thomas Corlin de Mouvement

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