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Littérature
Un concours télévisé du meilleur accouchement, un homme maniaque collectionneur d’éponges, un salon de coiffure qui fait des têtes au carré : voilà les images qu’on peut trouver dans les livres de Laura Vazquez. D’où lui viennent-elles ? La langue-espion de la poétesse s’aventure partout : sous les draps d’une grand-mère en soins palliatifs, dans l’appart exigu d’une famille nombreuse, dans la chambre d’un hikikomori accro aux forums en ligne. L’autrice fait de la littérature avec tout ce qu’elle trouve. Beaucoup de recueils (elle a remporté le Goncourt de la poésie en 2023) et un roman : La Semaine perpétuelle, paru en 2021. Ce qu’on écrit est fait pour être lu et entendu, vécu avec les autres. Et pour ça, quoi de mieux qu’une scène de théâtre ? Zéro, paru en novembre, est sa première pièce. On serait tenté de croire que Laura Vazquez est portée sur l’étrange, le sombre, voire le glauque. Pourtant, son œuvre est loin d’être nihiliste. Tous les weirdos qui errent sur les trottoirs de nos villes, toutes les âmes en peine qui soliloquent y trouvent refuge. Ses personnages se demandent : « Est-ce que les morts ont Internet ? » ou « Tu crois qu’on pourra faire des captures d’écran dans les rêves plus tard ? » Longtemps atteinte d’anxiété généralisée, Laura Vazquez fut élevée par sa grand-mère, phobique des orages et autres déluges. Elle en garde un attrait pour la cosmogonie, et une petite angoisse de l’ascenseur. Mais quand vient l’heure de poser les vraies questions, la poétesse ne tremble plus du tout : la vie, la mort, Dieu. Rencontre à Marseille, sa ville d’adoption, où elle s’est fixée comme objectif de lire tout le fonds du Centre international de poésie.
Société
En français, on a pris l’habitude d’appeler improprement dièze le symbole précédant les hashtags, ces trend-topics qui alimentent le débat médiatique. Mais on a aussi importé du nouchi, l’argot d’Abidjan, le mot djèze, qui se prononce pareil et qui veut dire affaire. À mi-chemin entre le bruit du monde et les mots des gens, cette chronique trace sa route dans ce qui nous occupe.
Après avoir sondé une poignée de grandes bourgeoises sur son canapé viennois, Freud se persuade que tous les fils souhaitent la mort de leurs pères. Ce genre de généralités ne tient plus. L’inconscient collectif est travaillé par les mouvements de l’Histoire : à chaque génération ses troubles, à chaque classe sociale ses névroses. Hervé Mazurel fait la lumière sur les rapports complexes entre psychanalyse et société.
À Ajaccio, il existe au moins un lobby d’hôtel où un article sur Jérôme Ferrari est épinglé au mur. Le signe fait sourire après la lecture de Nord Sentinelle, son nouveau roman qui critique frontalement l’industrie touristique. Avec une ironie cinglante qu’on ne lui connaissait pas à si haute intensité, l’écrivain donne à ce sujet d’apparence prosaïque des profondeurs existentielles. Il y a bien quelque chose de pourri au royaume des bateaux de croisières, du monoï et des « cultures indigènes » mises à prix : le système lui-même, qui transforme les idéaux de rencontre et d’hospitalité en publicité mensongère. Qu’importent nos intentions : nous sommes tous responsables. Les touristes, déplore le narrateur, « ne valent pas mieux les uns que les autres, les pauvres avec leur envie, les riches avec leur mépris, communiant dans la même insigne vulgarité, la même bassesse, et nous ne valons pas mieux qu’eux, nous nous sommes tant habitués à jouer à leur intention la comédie de l’authenticité et de la différence que nous ne serions bientôt plus rien s’ils détournaient le regard ».
Inaugurant une trilogie sur l’altérité, Jérôme Ferrari défriche une fois de plus un nouveau chemin formel et diffracte l’expérience de lecture. Si Nord Sentinelle se lit comme le récit tragique d’une vengeance entre deux adolescents, il se déchiffre aussi, en jouant à la marelle dans une architecture uniquement révélée par le sommaire, comme un recueil de contes. Mais la Corse et « le prix exorbitant de sa beauté », à la fois décor et personnage principal, n’y est encore que l’autre nom d’un univers métaphysique que le romancier construit livre après livre. Où le poids des généalogies, la fatalité, l’insondable problème du mal et la quête de transcendance dans un monde sans Dieu n’érodent jamais la valeur d’une vie, aussi minuscule soit-elle. Refusant de choisir entre la philosophie (qu’il enseigne) et la fiction (qu’il écrit), Jérôme Ferrari est peut-être le plus grec des auteurs corses.
En 2004, Faïza Guène casse la baraque avec Kiffe kiffe demain, satire à la première personne de la vie en cité et de la ségrégation sociale. 20 ans après ce succès de librairie et six livres plus tard, l’autrice a fui le rayon « littérature urbaine » auquel le monde du livre la cantonnait. Dans Kiffe kiffe hier ?, l’héroïne de son premier roman est de retour : alors, la France, elle a changé ?
Les Vilaines. Avec le titre de ce premier roman, aujourd’hui traduit dans une vingtaine de langues, Camila Sosa Villada affichait d’emblée l’horizon hardi de son œuvre. Dans un parc de la ville argentine de Córdoba – région d’où l’autrice est originaire et vit encore aujourd’hui – une bande de femmes trans survit en se prostituant. Malgré leurs grandes gueules et leurs liens solidaires, leur quotidien est marqué par l’exclusion sociale et la violence patriarcale. Volontairement contradictoire, farouchement indépendante, irrévérencieuse par nature, Camila Sosa Villada s’épanouit dans l’art de la réinvention. Histoire d’une domestication – son second roman à paraître en France en septembre – nous téléporte dans un univers aux antipodes : une actrice trans, riche et célèbre, mariée à un très bel homme et mère d’un enfant adopté séropositif, se retrouve confrontée à l’étroitesse de ses choix de vie. Le livre vient d’être adapté au cinéma : Camila Sosa Villada, qui est aussi actrice, chanteuse et poétesse, y tient le rôle principal. « Personne n’était mieux placée que moi pour le faire. »