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Cinéma
Apôtre d’un cinéma artisanal et jardinier à son propre compte, Pierre Creton a réalisé une vingtaine de films sans catering ni casting. Ancien ouvrier agricole, il filme la traite des vaches et les potagers de ses clients entre deux scènes érotiques. Un prince, son cinquième long métrage, sort en salles prochainement. Rencontre à domicile, dans le bocage enchanteur du Pays de Caux.
Solitude, précarité et paranoïa fleurissaient dans une sélection inégale, dominée par un auteurtainment sans subtilité. Une poignée d’œuvres détonnaient cependant par leur approche sensorielle du fait social. Le jury ne s’y est pas trompé en récompensant Les dimanches de Alauda Ruiz de Azúa et Histoires de la bonne vallée de José Luis Guerin, deux coproductions franco-espagnoles.
Comment vit la jet-set de Tel Aviv pendant que Tsahal pilonne Gaza, à tout juste 70 kilomètres de là ? Dans l’excès, hors sol, dopée à la propagande d’État, plus carnassière que jamais. C’est cette réalité que pénètre Oui, cinquième long métrage du réalisateur israélien Nadav Lapid, basé à Paris depuis 2021. Un film inconfortable, qui éclate à la gueule, saisi de convulsions et de ruptures de ton, « malade » d’après son propre auteur. Comme témoins embarqués de cette hystérie collective, le cinéaste a choisi Jasmine et Y., couple d’entertainers-escorts survoltés, de toutes les soirées mondaines. Elle est danseuse, bien décidée à en découdre avec les machos fachos du pays. Lui est pianiste-performeur et négocie sa soumission au régime qui lui commande un hymne appelant à la conquête de Gaza. Dans les résidences de luxe de la capitale, on se débauche en serrant les dents tandis que les notifs de smartphone font le décompte des victimes et qu’au loin, la fumée des bombardements s’élève dans le ciel. Sous une forme hallucinée, Oui dit la gangrène morale qui ronge les élites israéliennes. Un brûlot moderne dont répond Nadav Lapid, conscient de signer là son dernier film dans son pays natal.
Le FID propose, cette année encore, un tour d’horizon mondial du cinéma de recherche, engagé tant dans sa forme que dans ses méthodes de production. La rétrospective Radu Jude, éclatante d’inventivité et de radicalité, formait le centre de gravité d’une sélection en demi‑teinte.
Ça remue fort en Roumanie. Fin 2024, un scrutin présidentiel est invalidé : le candidat vainqueur du premier tour, un soixantenaire prorusse jusqu’ici inconnu, aurait piraté TikTok pour booster sa campagne. Retour aux urnes en mai prochain. Pendant ce temps, sur la côte de la mer Noire, ça charbonne sur le chantier de la plus grosse base militaire en Europe de l’OTAN. Et, c’est historique : le pays vient d’intégrer l’espace Schengen. À la bonne heure ! Ce chaos made in Romania, personne ne l’embrasse mieux que Radu Jude. Il y a vingt ans, cet ancien réalisateur de pub signe ses premiers films alors que le pays s’invente un cinéma post-Révolution. À l’Ouest, le socio-réalisme de la « Nouvelle vague roumaine » a la cote, mais le cinéaste trace sa propre route : des formes barrées et un regard acide sur les vieux démons du pays. Dans sa filmographie, il y en a pour tous les goûts : des docus plombés sur la persécution des Juifs en Roumanie, des essais DIY – l’histoire roumaine à travers des publicités d’archive, un patchwork de vues webcam sur la tombe d’Andy Warhol – ou des longs métrages qui conjuguent satire nihiliste et prouesses formelles. Ce sont ces derniers qui le placent parmi les cinéastes du moment en Europe. Dans Bad Luck Banging or Loony Porn (2021), Ours d’Or à Berlin, et N’attendez pas trop de la fin du monde (2023), des héroïnes à bout de nerfs se cognent au capitalisme tardif et au conservatisme bas du front qui pourrissent l’époque. Mais Radu Jude a toujours l’idée de montage qui tranche ou une citation littéraire bien sentie pour relever ces chroniques du cynisme moderne. Sur son agenda en 2025 : la sortie de deux longs métrages tournés au débotté – les tribulations d’une huissière rongée par la culpabilité ; une relecture du mythe de Dracula – et un projet de film en France, à l’automne. Dans un Bucarest encore fumant de ses turbulences électorales, le cinéaste, qui a appris le français en potassant la presse ciné à l’Institut Français, nous a reçus à proximité de son banc de montage. Du 23 septembre au 11 octobre, il est à l'honneur de la rétrospective parisienne « Radu Jude, cinéaste intranquille », organisée par le Centre Pompidou au cinéma Mk2 Bibliothèque.
Au festival marseillais Music & Cinema, le film est aussi affaire de son. Pour l’illustrer, 11 longs métrages et 64 courts composent le programme, tous issus de la jeune création internationale. Mouvement vous trace un chemin en trois films dans cette 26ème édition : de la Géorgie à la Slovénie en passant par l’Allemagne, avec beaucoup de libido juvénile, des déboires familiaux et, à la clef, l’épanouissement, promis.
Comment représenter le réel quand il nous échappe ? Loin des codes de la narration dominante, des cinéastes s’attellent coûte que coûte à cette lourde tâche et le Cinéma du Réel les met en lumière. Pour sa 47èmeédition, la première hors du Centre Pompidou, le festival déménage dans plusieurs salles du Quartier Latin, repaire historique de la cinéphilie. À l’affiche : 37 films plus une flopée de sélections parallèles et de séances spéciales. Dans cette masse, Mouvement vous guide : Don Quichotte dans la tess, du coaching de vie par le BDSM et les racines du mal néo-conservateur made in USA.
Dans le cadre du programme « Objet catalans non identifiés » au théâtre Garonne, le duo Cabosanroque partage deux œuvres récentes du cinéma espagnol. La première, Canto cosmico, épouse la grâce de Niño de Elche, chanteur-performeur à l’avant-garde du flamenco, également à l’affiche du festival. La seconde, Segundo premio, qui a représenté l’Espagne aux Oscars 2025, capture la scène rock andalouse des années 1990.
Lucrecia Martel, figure du « Nouveau cinéma argentin », fait peu de films mais touche à tous les genres : l’épouvante, la bande dessinée, la science-fiction. Elle s’intéresse aux classes sociales, la sienne d’abord : sa « trilogie de Salta », du nom de la ville où elle est née au nord du pays en 1966, décrit un monde bourgeois dont les attitudes exercent une violence sourde sur leur environnement. Dans La Ciénaga (2001), les enfants chassent dans la forêt pendant que les adultes s’enivrent au bord de la piscine et qu’un orage annonce un danger imminent. L’adolescente de La Sainte Fille (2004) poursuit un docteur venu se frotter contre elle, tandis que La Femme sans tête (2008) commet un délit de fuite sans que l’on sache si elle a renversé un chien ou un enfant, son entourage s’efforçant de faire comme si de rien n’était. Hantés par la dictature argentine, ces films donnent à sentir, sans commentaire, la domination et la complicité d’une classe aisée et blanche. Pour autant, les névroses qui circulent dans le cinéma de Lucrecia Martel n'éclatent jamais tout à fait à l'écran. C’est le son, dont elle ne cesse de clamer l’importance, qui les prend en charge. Son dernier film, Zama (2017), aborde la colonisation espagnole du XVIIIe siècle et met en scène un piteux fonctionnaire du vice-Roi des Indes qui attend en vain sa mutation. Depuis, tout en réalisant régulièrement des films courts, Martel travaille sur un documentaire qui traite de la résistance des communautés indigènes contre la spoliation de leurs terres, sujet d’autant plus crucial que l’Argentine s’est vouée à un économiste d’extrême droite armé d’une tronçonneuse.