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Cinéma
Ça remue fort en Roumanie. Fin 2024, un scrutin présidentiel est invalidé : le candidat vainqueur du premier tour, un soixantenaire prorusse jusqu’ici inconnu, aurait piraté TikTok pour booster sa campagne. Retour aux urnes en mai prochain. Pendant ce temps, sur la côte de la mer Noire, ça charbonne sur le chantier de la plus grosse base militaire en Europe de l’OTAN. Et, c’est historique : le pays vient d’intégrer l’espace Schengen. À la bonne heure ! Ce chaos made in Romania, personne ne l’embrasse mieux que Radu Jude. Il y a vingt ans, cet ancien réalisateur de pub signe ses premiers films alors que le pays s’invente un cinéma post-Révolution. À l’Ouest, le socio-réalisme de la « Nouvelle vague roumaine » a la cote, mais le cinéaste trace sa propre route : des formes barrées et un regard acide sur les vieux démons du pays. Dans sa filmographie, il y en a pour tous les goûts : des docus plombés sur la persécution des Juifs en Roumanie, des essais DIY – l’histoire roumaine à travers des publicités d’archive, un patchwork de vues webcam sur la tombe d’Andy Warhol – ou des longs métrages qui conjuguent satire nihiliste et prouesses formelles. Ce sont ces derniers qui le placent parmi les cinéastes du moment en Europe. Dans Bad Luck Banging or Loony Porn (2021), Ours d’Or à Berlin, et N’attendez pas trop de la fin du monde (2023), des héroïnes à bout de nerfs se cognent au capitalisme tardif et au conservatisme bas du front qui pourrissent l’époque. Mais Radu Jude a toujours l’idée de montage qui tranche ou une citation littéraire bien sentie pour relever ces chroniques du cynisme moderne. Sur son agenda en 2025 : la sortie de deux longs métrages tournés au débotté – les tribulations d’une huissière rongée par la culpabilité ; une relecture du mythe de Dracula – et un projet de film en France, à l’automne. Dans un Bucarest encore fumant de ses turbulences électorales, le cinéaste, qui a appris le français en potassant la presse ciné à l’Institut Français, nous a reçus à proximité de son banc de montage.
Au festival marseillais Music & Cinema, le film est aussi affaire de son. Pour l’illustrer, 11 longs métrages et 64 courts composent le programme, tous issus de la jeune création internationale. Mouvement vous trace un chemin en trois films dans cette 26ème édition : de la Géorgie à la Slovénie en passant par l’Allemagne, avec beaucoup de libido juvénile, des déboires familiaux et, à la clef, l’épanouissement, promis.
Comment représenter le réel quand il nous échappe ? Loin des codes de la narration dominante, des cinéastes s’attellent coûte que coûte à cette lourde tâche et le Cinéma du Réel les met en lumière. Pour sa 47èmeédition, la première hors du Centre Pompidou, le festival déménage dans plusieurs salles du Quartier Latin, repaire historique de la cinéphilie. À l’affiche : 37 films plus une flopée de sélections parallèles et de séances spéciales. Dans cette masse, Mouvement vous guide : Don Quichotte dans la tess, du coaching de vie par le BDSM et les racines du mal néo-conservateur made in USA.
Dans le cadre du programme « Objet catalans non identifiés » au théâtre Garonne, le duo Cabosanroque partage deux œuvres récentes du cinéma espagnol. La première, Canto cosmico, épouse la grâce de Niño de Elche, chanteur-performeur à l’avant-garde du flamenco, également à l’affiche du festival. La seconde, Segundo premio, qui a représenté l’Espagne aux Oscars 2025, capture la scène rock andalouse des années 1990.
Lucrecia Martel, figure du « Nouveau cinéma argentin », fait peu de films mais touche à tous les genres : l’épouvante, la bande dessinée, la science-fiction. Elle s’intéresse aux classes sociales, la sienne d’abord : sa « trilogie de Salta », du nom de la ville où elle est née au nord du pays en 1966, décrit un monde bourgeois dont les attitudes exercent une violence sourde sur leur environnement. Dans La Ciénaga (2001), les enfants chassent dans la forêt pendant que les adultes s’enivrent au bord de la piscine et qu’un orage annonce un danger imminent. L’adolescente de La Sainte Fille (2004) poursuit un docteur venu se frotter contre elle, tandis que La Femme sans tête (2008) commet un délit de fuite sans que l’on sache si elle a renversé un chien ou un enfant, son entourage s’efforçant de faire comme si de rien n’était. Hantés par la dictature argentine, ces films donnent à sentir, sans commentaire, la domination et la complicité d’une classe aisée et blanche. Pour autant, les névroses qui circulent dans le cinéma de Lucrecia Martel n'éclatent jamais tout à fait à l'écran. C’est le son, dont elle ne cesse de clamer l’importance, qui les prend en charge. Son dernier film, Zama (2017), aborde la colonisation espagnole du XVIIIe siècle et met en scène un piteux fonctionnaire du vice-Roi des Indes qui attend en vain sa mutation. Depuis, tout en réalisant régulièrement des films courts, Martel travaille sur un documentaire qui traite de la résistance des communautés indigènes contre la spoliation de leurs terres, sujet d’autant plus crucial que l’Argentine s’est vouée à un économiste d’extrême droite armé d’une tronçonneuse.
Qui d’autre que le provocateur catalan pour filmer la corrida en 2024 ? Attendu depuis Pacifiction, césarisé en 2023, Albert Serra dresse le portrait au ras du corps de Andrès Roca Rey, matador à la gueule d’ange. À la fois inscrit dans un passé mythique et tourné vers l’avenir du cinéma, cet anti-documentaire contourne les polémiques qui criblent la corrida en prenant le risque d’en révéler la dimension métaphysique.
En Asie du Sud-Est, on a beaucoup à célébrer en 2025 : rien qu’au Vietnam, 80 ans d’indépendance et 50 ans depuis la fin de la guerre, puis au Cambodge aussi, 50 ans depuis la prise de Phnom Penh par les Khmers Rouges. Le festival Si Loin Si Proche, le seul en France à se pencher sur cette région d’Asie, se saisit de ces dates anniversaires pour éclairer le présent de trois pays voisins – Laos, Cambodge et Vietnam – et de ses diasporas. Performances, rencontres, musique, courts et longs métrages : Mouvement fait sa sélection dans la programmation.
Société
Inexistant au début du millénaire, le cinéma corse explose. Trois films insulaires étaient présentés au dernier festival de Cannes. Sur l’île, le septième art est vécu comme un moyen de réinvestir les représentations identitaires : raconter son histoire de la violence, puis passer à autre chose. Des acteurs non professionnels – adolescents sans histoire ou anciens militants du FLNC – tiennent le haut de l’affiche. Une épopée entre mer et montagne, de Bastia à Bastelica, garantie sans Christian Clavier.
Des étudiantes autrichiennes oisives, une rando herboriste, un hippopotame traqué, un film-performance sur la bête du Gévaudan, et une relecture du conte d’Aladin : au Festival international du Cinéma de Marseille, chacun sa légende. Mouvement s’arrête sur cinq films en compétition lors de cette édition prématurée en raison des JO.