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Cinéma
Des étudiantes autrichiennes oisives, une rando herboriste, un hippopotame traqué, un film-performance sur la bête du Gévaudan, et une relecture du conte d’Aladin : au Festival international du Cinéma de Marseille, chacun sa légende. Mouvement s’arrête sur cinq films en compétition lors de cette édition prématurée en raison des JO.
Société
Dans le monde anglo-saxon, les coordinatrices d’intimité sont devenues monnaie courante sur les plateaux de cinéma ; en France, où l’auteur est roi, les réticences sont grandes mais l’idée fait son chemin. Mouvement a interrogé les pionnières du métier ainsi que des acteurices, des productrices et une réalisatrice. Protocole expérimental pour saboter le cinéma-prédateur.
Une sieste à plusieurs à Taïwan. Un bavardage sur un rond-point à Sri Lanka. Une rando à 3 000 mètres d’altitude au Pérou. L’air est moite et les journées s’étirent : malgré son titre de blockbuster, The Human Surge 3 prend son temps. Au gré de quelques courts et d'un premier long-métrage (The Human Surge en 2016 – le second volet n’existe pas), le réalisateur Eduardo Williams s’est fait l’artisan d’un cinéma d’immersion où le ressenti et la durée priment. Son adjuvant favori pour restituer cette sensualité est la prise de vue à 360°, façon Google Street View ou first person shooter. Son nouveau docu-fiction a été tourné à l’intérieur d’un casque de réalité virtuelle : les glitchs sont fréquents et restitués tel quel ; l’image ultra-panoramique s’affaisse sur les bords comme la Terre vue du ciel. Mais à l’inverse des géants de la tech qui abusent de cette technologie pour contrôler nos villes, le cinéaste argentin s’en saisit pour proposer une observation méditative du genre humain dans son environnement. Formé au Fresnoy sous l’égide du réalisateur portugais Miguel Gomes, Williams pose un regard multidimensionnel sur des fragments de vie et éclate la mappemonde. Mais si The Human Surge 3 défie les catégories, le film a des antécédents : les embardées les plus mystiques de Terrence Malick, les stases et les zones aqueuses d’Apichatpong Weerasethakul, le naturalisme dans le détail d’Abdellatif Kechiche et l’innovation formelle de l’école expérimentale. Ses personnages, éparpillés dans trois pays du Sud global, ont aussi des points communs : les frustrations de la précarité, la jeunesse et ses élans. Eduardo Williams invite à sentir le monde à travers leurs yeux, leurs corps. Et à devenir ce spectateur omniscient par le biais d’une technologie détournée à des fins émancipatrices – une fois n’est pas coutume.
37 ans après avoir été tournés, certains documentaires résonnent encore. Peut-être parce que le monde ne change pas tant que ça ; probablement parce que ces films visent juste et touchent à des réalités qui perdurent, bien après la mort de leurs protagonistes. Classified people, tourné en Afrique du Sud en 1987, est de ceux-là. On y suit un vieux couple démesurément amoureux en plein apartheid : Doris est une femme noire ; Robert pensait être un homme blanc avant que les autorités n’en décident autrement. Sa première femme le quitte et ses enfants le rejettent pour échapper à la ségrégation. La matrice du cinéma de Yolande Zauberman se dessine dans ce premier film : la rencontre au centre, et un dispositif simple qui déroule comme par magie une incroyable intimité. L’amour, la religion, la politique. Parisienne d’origine polonaise, locutrice du yiddish, c’est sa rencontre avec le réalisateur israélien Amos Gitaï qui la fait basculer. « Le cinéma m’a éduquée et la caméra m’a mise debout », dit-elle. Sans commettre d’effraction, à la manière d’une psychanalyste, Yolande Zauberman pousse des portes verrouillées à triple tour. Elle trouve la lumière dans les zones les plus sombres de l’humanité. Pour M (2018), elle s’est immiscée à Bnei Brak, capitale des juifs ultraorthodoxes, avec un jeune homme qui cherche à confronter ses violeurs. En revenant sur les lieux des crimes, ce film met la focale sur le scandale d’une pédophilie à grande échelle, et dévoile le cercle vicieux qui transforme les victimes en bourreaux. Avec La Belle de Gaza, présenté à Cannes cette année, la cinéaste poursuit sa quête dans la nuit de Tel Aviv aux côtés de femmes trans, demi-déesses marginalisées. C’est parfois dans le noir que se révèle le vrai visage de la société.
Immersion dans la ZAD de Notre-Dame-des-Landes, bien après le saccage de la police et l’abandon du projet d’aéroport. Pour leur deuxième collaboration, Guillaume Cailleau et Ben Russell dressent un état des lieux une fois le calme revenu dans le bocage. Sur 3h30, peu de discours militants, peu de dialogues, mais plutôt la vie simple au quotidien. Primé à la dernière Berlinale, DIRECT ACTION prend la réalité du terrain à bras-le-corps et rend compte d’une utopie tout à fait concrète.
Documentaires d’auteur, expériences formelles, essais filmiques : du 22 au 31 mars à Paris, le Cinéma du Réel réunit ce que l’on ne voit pas ailleurs. Si la programmation vous perd, Mouvement a repéré pour vous trois portes d’entrée.
Ben Rivers est de ces cinéastes secrets. Seuls trois de ses longs métrages ont été diffusés dans les salles françaises : Two Years at Sea (2011), Un sort pour éloigner les ténèbres (2015), coréalisé avec Ben Russell, et Krabi, 2562 (2019). Pour les autres, une bonne quarantaine tous formats confondus, il faut fouiller du côté des espaces d’art et des festivals de cinéma indépendant. Chez lui, le documentaire anthropologique se fond dans l’expérience sensorielle. Tournées le plus souvent en 16 mm, alternant noir et blanc opaque et jaillissement de couleurs, ses fables non-narratives cultivent une apparence artisanale, à la mesure des thématiques qui l’occupent : l’instinct de survie, la communauté à venir à l’aune de l’effondrement et la transfiguration possible dans un monde courant à sa perte.
Le Wu-Tang Clan au réveil. La clope électronique sur le banc de montage. Et le tennis, le soir à la télé. Début 2023, Bertrand Bonello terminait son dixième film, La Bête, en salle le 7 février. En plein chantier, entre le doute et l’excitation, il se confiait à Mouvement. Pour un cinéaste, le montage est ce moment de sculpture décisif — celui où le romancier reprend ses phrases et le mécanicien règle un moteur. La Bête, triptyque d'anticipation qui devait compter Gaspard Ulliel au générique, s'inspire d'ailleurs d'une nouvelle de Henry James. Un film phénix, un rescapé, qu’on aurait du mal à classer dans une filmographie où s’enchaînent la fresque intimiste (L’Apollonide, 2011), le biopic hypnotique (Saint Laurent, 2014) et le cauchemar eschatologique (Nocturama, 2016), avant un teen-movie plein de fantasmes (Zombie Child, 2019) et une youtubeuse tout en énigmes (Coma, 2022). Alors, pour décortiquer ses images, Bertrand Bonello s’interroge sur ce qui les suscite. La solitude. La rêvasserie. Sa fille. Et la musique, du piano de l’enfance au hip-hop d’aujourd’hui - ou du bâtisseur de l'atonalité Arnold Schönberg, qu'il fantasme dans une mise en scène musicale à la Philharmonie de Paris.
Un patrimoine rural à l’agonie quelque part en Italie, dans un passé plus ou moins distant : les années 1980 ou un âge préromain, ou les deux en même temps. Au début il y a la tombe, à la fin le destin – dans l’intervalle, advienne que pourra. Dans les films d’Alice Rohrwacher, des paysans, des forains et des brigands se déplacent dans les ruines et le spectateur s’égare dans la narration. Il n’a pas toutes les clés de compréhension : le cinéma est un des derniers endroits où se promener sans carte ni destination. La réalisatrice présente La Chimère, sélectionné à Cannes en 2023, dernier volet d’une trilogie consacrée au centre de la botte où elle a grandi. Le film relate les péripéties d’un gang de tombaroli, ces pilleurs de tombes étrusques qui défrayaient la chronique dans l’Italie des années 1970 et 1980. Arthur, leader malgré lui de cette bande de joyeux voyous, possède le don de détecter les sites antiques enfouis sous terre. Héritière d'un néoréalisme teinté de magie, Alice Rohrwacher met en scène des personnages habités par un lien spirituel avec l’invisible, intercesseurs entre le monde des vivants et celui des défunts, entre le cinéma documentaire et la mythologie romantique. Au mois de décembre, le Centre Pompidou lui consacre une rétrospective accompagnée d’une exposition-installation intitulée Bar Luna : décor central de La Chimère, point de départ d’un voyage vers l’amour et la mort.