«Banlieue, territoire-fiction» au Lavoir Numérique : retour vers le futur pour le Grand Paris

Un terme, banlieue, qui contient des dizaines de villes et des centaines de milliers d'histoires : celles de ses habitants. Un terme ramassé qui homogénéise et réduit l’idée qu'on s'en fait. La banlieue, comme si celle-ci n’était qu’une et invisible. Les communes qui la composent sont pourtant très diverses et forment un maillage fictif et utopique que le Lavoir Numérique propose d’activer en rassemblant les travaux de six artistes. Six visions empruntant à la science-fiction comme au jeu vidéo, qui prennent le contrepied des représentations médiatiques et politiques encore en vigueur sur la périphérie. 

Direction Aubervilliers d’abord, que le vidéaste Nicolas Boone arpente façon gamer en plein stream sur Twitch. Partant du métro Quatre-Chemins, son film A86 Nord Sortie 10 (2022) parcourt les trottoirs grouillant de la commune du 93 en caméra subjective avec les commentaires de l’artiste Skander Mestiri. Un détournement des codes du gaming pour porter un regard embarqué, amusé et hyper réaliste sur cette ruche humaine et ses contre-allées, son trafic et sa vitalité. La photographe Julie Balagué adopte un point de vue plus intime sur cette même ville de petite couronne dans sa série Utopie Maladrerie (2016-2018), du nom de l’éco-quartier imaginé par Renée Gailhoustet à la fin des années 1970.  Ses habitants, avec lesquels l’artiste s’est entretenue dans un podcast qui accompagne ses images, la surnomment « la mala », comme un membre de la famille qu’on aime et qu’on déteste en même temps. Les photographies se fixent sur l'architecture de ces appartements, tordus ou ondulatoires, tous difficiles à aménager, et décrivent un labyrinthe poétique dans lequel le végétal s’immisce. De ce qui aurait pu se limiter à un simple portrait social, l’artiste tire une méditation sur l'adaptation et la beauté qui surgit des contraintes.

Julie Balagué, extrait de la série Utopie Maladrerie (2016-2018)

On bascule du 93 au 94 avec la vidéo Dérive (2020) de l’artiste multimédia Kaspar Ravel. Du Maurice Ravel dépitché dans les oreilles, nous déambulons dans une simulation de la future gare de Créteil-L’Échat en compagnie du personnage Lil’Torso. Téléphone à la main, le jeune homme laisse un vocal mélancolique à un ami qui a récemment quitté la ville. Délibérément surpixélisée, l’image se donne en macroblocs et révèle ainsi une géographie affective des lieux. Un passant arrête Lil’Torso pour lui demander son chemin et toute la puissance de ce glitch art jaillit : on perd ses repères et la poésie advient. Une plongée dans la fragmentation liquide d’un territoire en construction.  

Le photographe Raphaël Dallaporta couvre quant à lui plusieurs points d’Île-de-France en visitant les vestiges d’un ancêtre des télécommunications : le télégraphe de Chappe, datant du XVIII^e siècle. Sa série Les Stationnaires (2017) capte le territoire depuis d’anciennes tours hertziennes et tend un miroir aux technologies modernes par le biais d’une simple intervention : l’ajout d’un filtre bleu pâle. Bleu comme Uranus, cette planète avec laquelle la vitesse de la fibre optique nous permet de communiquer – en théorie. Un clin d’œil astronomique qui projette soudain le Grand Paris à une échelle cosmique. 

Raphaël Dallaporta, extraits de la série Les Stationnaires (2017)

Ultime projection futuriste, cette fois-ci sur le Val de Bièvre autour d’Arcueil avec un autre artiste multimédia, Raphaël Guez. Sa vidéo Makom (2025) – « espace » en hébreu – soumet la localité à une météo polaire en y appliquant les données d’une station en Antarctique. Flirtant avec les prédictions les plus alarmantes en matière de dérèglement climatique, cette extrapolation par le biais des outils numériques confirme l’efficacité poétique des visions que réunit Banlieue, territoire-fiction. Ou comment fabriquer une représentation actualisée, drôle ou songeuse, d’un territoire au moins aussi riche en vécus que la capitale qu’il enserre. 

Banlieue, territoire-fiction, exposition collective jusqu’au 15 février au Lavoir Numérique, Gentilly