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Les océans échappent perpétuellement au regard humain. Pour autant, ils sont devenus les témoins clé de l’ampleur de la destruction des milieux naturels. Un paradoxe qui les place désormais au cœur des questions climatiques, la vie sous-marine et les écosystèmes terrestres n’ayant de cesse de s’inter-influencer. Entre expériences esthétiques et constats glaçants, la Villa Arson, TBA21 et la Fondation Tara Océan réunissent une vingtaine d’artistes autour de ce vaste thème. Un exercice de décentrement du regard, aussi périlleux que pertinent.


Installations, vidéos, sculptures ou encore photographies se suivent dans le dédale labyrinthique des couloirs de la Villa Arson. Embarqué·es sur la goélette Tara ou resté·es sur les rivages, les artistes invité·es sont nombreux·ses à avoir exploré les profondeurs abyssales. Les points de vue sont singuliers, naviguant entre approches poétiques, documentaires ou mêmes spéculatives ; tous, pourtant, témoignent d’une même préoccupation : ici, le devenir océan tient plutôt d’un avertissement sur les dommages infligés à la vie aquatique que d’une expérience esthétique visant à devenir autre.



Samuel Bollendorff, Les Larmes de Sirènes (série), 2024 © Benoît Fougeirol




Par-delà victimes et bourreaux

 

Intitulé sobrement Les Larmes de Sirènes, le travail de Samuel Bollendorf montre l’envers de la carte postale. Au mur, des photographies de paysages océaniques majestueux où les ondulations de l’eau reflètent la lumière. En dessous, des prises de vue au microscope en révèlent la pollution aux micro plastiques. La menace invisible prend une forme encore plus inquiétante avec Echoes of the Abyss - Toxic Legacies Of Oceanic Ecologies, une installation particulièrement complexe dans laquelle Robertina Šebjanič fait un détour par les vestiges de conflits armés anciens pour évoquer les mécanismes destructeurs d’une guerre silencieuse entre l’humain et le reste du vivant.


Un courant mystérieux parcourt néanmoins l’exposition, celui d’un milieu qui n’a de cesse de reposer ses limites. On ne peut que saluer la justesse du regard posé par certain·es artistes, qui s’attachent autant que possible à montrer les enjeux climatiques du point de vue de la nature elle-même. Empruntant son titre à un rituel vénitien de mariage avec la mer (We Marry You O Sea as a Sign of True and Perpetual Dominion), Sonia Levy dresse un parallèle subtil entre l’expansion industrielle de la lagune de Venise et ses paysages sous-marins, faisant état d’un monde aussi splendide que fracturé dans lequel les bruits humains composent une atmosphère sonore menaçante aux airs de drone. Diana Policarpo, quant à elle, propose un voyage halluciné aux Îlhas Selvagems avec la très réussie Contes de Ciguaune installation vidéo à la beauté toxique où les vues d’une nature sauvage dialoguent avec le discours interne d’une femme empoisonnée par un poisson contaminé aux ciguatoxines.



Diana Policarpo, CiguaTales, 2022, Still: CiguaTales. TBA21 Thyssen-Bornemisza Art Contemporary Collection.



Désirs trans

 

Milieu originel ayant permis la naissance de la vie, nous ne sommes pas loin d’avoir transformé l’océan en un tombeau. Si le drame invisible de la pollution sous-marine semble sans appel, l’émergence de nouveaux rapports au vivant offre une lueur d’espoir bienvenue. Avec Sea Lovers, Ingo Niermann dresse, non sans humour, le portrait d’un groupe de personnes s’efforçant d’entretenir une relation plus intime avec l’océan. Iels s’ébattent dans de nouveaux rituels aux airs new age, cultivant symboliquement une approche plus apaisée à ses mystères. Anne Duk Hee Jordan poursuit ce fil tiré vers l’écosexualité avec l’installation Ziggy and the starfish dans laquelle hippocampes, étoiles de mers et autres êtres androgynes se livrent à des jeux de séduction aussi vibrants que fascinants. Voilà, peut-être, notre meilleure bouée de sauvetage : face aux mécaniques mortifères qui détruisent les milieux, invoquer le pouvoir transformateur de nouveaux rapports de désir. De quoi changer profondément nos modèles de relation au non humain, se donner envie de préserver ce qui peut encore l’être.



⇢ Becoming ocean, jusqu’au 24 août à la Villa Arson, Nice
⇢ Liquid Grounds, jusqu’au 24 août à la Villa Arson, Nice

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