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Des tags pleins les murs, autant de stickers, et des mauvaises herbes qui courent, l’Antre Peaux est resté fidèle aux vœux punks de ses créateurs : des étudiants de l’école d’art de Bourges qui ont occupé une visserie à l’abandon pour en faire un espace culturel dans les années 1980. Cet été, deux artistes s’y rencontrent dans le cadre des expositions-dialogues du Transpalette (le centre d’art contemporain au sein d’Antre Peaux), organisées tous les ans par la commissaire Julie Crenn. Brandon Gercara, 26 ans, habitant.e à la Réunion, et Ester Ferrer, de 60 ans son ainée, espagnole ayant fui le franquisme pour s’installer à Paris. L’un.e ré-invente les clips de rappeurs aux propos volontiers homophobes en s’affichant à la place de vixens ultra-sexualisées (Lip Sync - Kaf Malbar, 2020), l’autre se pose un chou-fleur sur la tête, préférant faire n’importe quoi plutôt que ce qu’on lui dit de faire. Au centre, une même pratique artistique : la performance. Pour une même quête : l’émancipation.


La mue de Vénus 

 

De la caillasse, des crevasses, des montagnes, un paysage de lune qui fait qu’on rêvasse. Soudain, une étrange créature surgit : crinière orange, bikini rose-saumon, chaussée de bottes inclassables, peut-être des moon-boots en lave séchée. Une des premières œuvres de l’exposition est une vidéo représentant une Vénus non-conventionnelle au pied du Piton de la Fournaise à la Réunion : « Le volcan a créé l’île. S’il venait à se réveiller, il pourrait aussi la faire disparaître. » Personnage imaginé et interprété par Brandon Gercara, Bloom semble le fruit du métissage de l’humain et de la lave : matière vive, coulante, forme ouverte ; tout ce que l’artiste réunionnais.e défend à l’endroit de son genre et de sa couleur. C’est en réaction à l’absence d’archive LGBT+ sur l’île où le tabou persiste jusqu’à aujourd’hui que l’artiste génère cette mythologie de remplacement.


Car un corps vivant est un corps en mutation, on est tenté de rattacher ces images à celles présentées à l’étage du dessus, consacré à Esther Ferrer : deux vidéos en vis-à-vis, l’une tournée en 1973, l’autre, 40 ans plus tard et en couleur. On la voit seule dans un studio, debout, face à la caméra, entièrement nue. Le corps féminin, en toute honnêteté. « Je suis vieille, ça se voit et je veux que ça se voie », résume-t-elle devant nous, 86 ans et toujours aussi enjouée. Contre l’âgisme, elle réalise tout au long de sa vie des autoportraits en noir et blanc pour suivre l’évolution de ses traits. À l’époque elle écrit encore des articles pour El País afin de gagner sa vie : les contraintes matérielles s’intègrent à son processus et forgent cette esthétique de la simplicité.

 

Brandon Gercara © Margot Montigny


Mutation sociale 

 

La peau bleue, de longs cheveux noirs jetés derrière l’épaule, un bijou de narine : Nilesh Muktananda (prénom inventé), fils de « malbars », cette ethnie indienne hindousïste de la Réunion, a raconté son histoire à Brandon Gercara qui en a fait un personnage inspiré des traits de Shiva. L’inusable question « l’artiste peut-il changer la société ? », Brandon Gercara la prend par les deux cornes. Performances et actions militantes ne font qu’un dans son processus, les œuvres n’étant que la partie visible de ces initiatives : travail d’écoute dans la série Conversations, lancement de la toute première marche des fiertés de l’histoire de l’île en 2021, création d’un centre d’accueil (incendié peu après son ouverture).


Ce militantisme, Brandon Gercara le nourrit de références : omniprésence des livres sur ses installations et enregistrements de voix de chercheuses qui planent dans l’exposition. Françoise Vergès, Asma Lamrabet et Elsa Dorlin en figure récurrentes. L’artiste a tendance à surexposer ses lectures, ses inspirations, suréfférentialiser ses réalisations quand la plupart parlent d’elles-mêmes. Dans son habituelle sobriété, Esther Ferrer considère à l’inverse la performance comme ce moment où l’on peut venir à l’œuvre sans prérequis : au spectateur de produire ses réponses face à un questionnaire inscrit au pinceau noir sur tout un mur de l’exposition : « Existe-t-il une misogynie féminine ? », « La lutte contre la discrimination sexuelle est une mutation, une évolution ou une révolution ? » Vous avez quatre heures.


> Make a space for my body, exposition d’Esther Ferrer et Brandon Gercara, jusqu’au 17 septembre à l’Antre Peaux, Bourges

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