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Cabanes en bois, teintures végétales, crevettes sous cloche, drapeaux brodés de messages militants : pas de doute, c’est bien une expo « sur le vivant » que nous pénétrons à la Gaité Lyrique. Les formes, la mise en scène, l’adresse, l’intention sont instantanément identifiables. En 2024, l’environnement s’est rangé parmi les leitmotivs de l’industrie culturelle, à tel point que sa présence n’est plus interrogée. Mais qu’attend-on vraiment d’une exposition sur le sujet ? De provoquer le déclic chez les dubitatifs ? Gageons que les climatosceptiques ne courent pas les centres d’art pour s’enquérir de ce que les artistes pensent de l’environnement. Cette entreprise de conscientisation charge par ailleurs ces derniers d’une mission qui dépasse leur champ de compétences initial : combler l’incurie des pouvoirs publics en la matière, inciter à l’action citoyenne. Il faudrait donc être plasticien et formateur, voire aller au musée comme au SNU. C’est beaucoup demander à nos artistes à une époque où le désenchantement est tel que plus aucun d’entre eux n’ose se croire capable de changer le monde. Laissons-nous malgré tout gagner par la bonne volonté de Coalition, expo collective proposée par l’association Coal qui travaille l’urgence écologique par les outils de l’art.


Silence ça pousse


D’emblée, la palette de couleurs situe les enjeux : elle s’étend du terracotta au beige-sable. Les matériaux aussi : que du naturel. Louis Guillaume récolte la bourre de peuplier, un duvet blanc semblable à du coton, pour en faire un tapis, et des graines de stipa pour sculpter une silhouette sommaire. Derrière ces formes, une cabane en tasseaux d’épicéa, sculptée à la main par Sara Favriau. On se réapproprie des techniques traditionnelles, on reconnecte avec le manuel, on verdit les matériaux. Ces travaux au minimalisme végétal ont beau cocher toutes les cases de la création écolo, elles manquent de quelque chose. D’émotion peut-être ? Ici priment le geste de l’artiste-jardinier et, in fine, sa propre sensibilisation aux questions écologiques dont nous, spectateurs, sommes pris pour témoins. Mais cela suffit-il à nous impliquer ?  N’est-ce pas justement d’un surplus d’empathie qu’il faudrait pour faire lien avec le vivant ?



« La redite en somme, ne s’amuse pas de sa répétition singulière » de Sara Favriau © Marc Domage


Rire ou pleurer


Plus loin, une vidéo travaille davantage dans ce sens. Cuir noir de la tête aux pieds, casque à visière teintée, une silhouette se profile, plein gaz, sur une highway australienne, l’air chaud vibrant dans son dos. L’homme s’arrête : un Kangourou mort jonche le bord de la route, vraisemblablement heurté par un automobiliste. Le ghost rider le prend dans les bras pour le bercer, une tendresse rituelle qui conjure le sacrifice. Avec son esthétique léchée, Apologie-1-6 de l’Australien Shaun Gladwell s’adresse frontalement à notre culpabilité et tire sur la corde sensible. Un bon moyen pour lutter contre les pires ennemis de la cause écologique : la désensibilisation et le désintérêt. 


Face à ce motard au grand cœur, une autre proposition tente une alternative au naturalisme et au pathos. Une peau de vache est tendue à la verticale. Sur sa face intérieure, un schéma à l’ocre rouge. Le style est quasi-pariétal mais le dessin parle de notre futur : « l’ensemencement de nuages » se fait par avion, les drones sont des « miroirs géants dans l’espace » qui renvoient 1 à 2 % des rayons solaires et les « arbres synthétiques » capturent du CO2. En détournant cette peau de bête, le Nouveau Ministère de l’Agriculture que forment Suzanne Husky et Stéphanie Sagot pointe une anthropisation extrême et la fin de tout espoir d'un retour supposé à la nature. D’un dessin enfantin on décèle une réalité autrement plus complexe. Et à l’heure où le greenwashing se niche partout, c’est bien ce type de travaux qui font le plus de bien : ceux qui engagent notre intelligence critique.


Coalition, exposition collective jusqu’au 06 juin à la Gaité Lyrique, Paris

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