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« Relations de parenté bienveillantes », peut-on lire dans le projet du Transpalette. Dès son premier volet initié en 2022, Kin(d) Relations, c’est un pari un peu surnaturel : celui de découdre joyeusement cette bonne vieille opposition nature/culture par le vivant, en conviant des plasticien·nes qui flirtent de près ou de loin avec la science. Jouer avec la notion de lien entre les espèces qui désunit plus qu’il ne rassemble. Et rendre ça déroutant.



Une longue table blanche nous accueille. Dessus : La violence du calme, un livre dans lequel des phrases sont délicatement soulignées. Ce n’est rien, c’est « juste un indice que l’artiste a trouvé dans une brocante ». Cette table est un comptoir de cuisine étendu sur plusieurs mètres, que l’on trouve sûrement dans les plus luxueux pavillons. À son extrémité, de l’eau coule d’un robinet gris. « Ça arrive aux publics de le fermer » plaisante la médiatrice par anticipation. Dans quelle dimension nous sommes-nous retrouvé·es ? Dans celle de la plasticienne Fleur Melbourn qui a décidé de ne pas s’attarder sur la « nature » au sens littéral, mais sur les modes de vie occidentaux et les flux de richesse qui grouillent dans ce genre d’espace peu chaleureux, blanc, sans la moindre déco, mais avant tout basé sur la domination de cette nature : une cuisine bien vide qui donne froid dans le dos. Alors, autant mettre en lumière cette violence sous-jacente, la détourner, la parodier : par cette installation, regardons comment gaspiller, prendre de la place sans utilité, user de matériaux de manière jetable et unique. Derrière un long paravent, se cache une chambre à coucher exiguë, comme en écho à l’installation intimiste de Lili Reynaud-Dewar – Salut, je m’appelle Lili et nous sommes plusieurs – présentée au Palais de Tokyo l’année dernière. Il était question de plusieurs installations retraçant son histoire et ses rencontres, sorte de journal géant et immersif, dans des chambres d’hôtel à Paris, dans ses relations sociales et la manière dont elle vit l’actualité. Ici, autour de ce lit-là, pas de journal intime à voix haute, mais une assiette de pâtes quasi vide et un cendrier rempli gisant sur la commode. En face, un écran où se joue une série mélodramatique (Déjeuner nu, 2019-2024). On hésite entre s’asseoir et regarder les rapports de force entre acteurs et actrices dans la série, ou zieuter avec discrétion l’espace pour ne pas déranger. Il y a de l’animalité dans la mise en scène de cette chambre bordélique. 



Plus Fleur Melbourn dénonce avec froideur les modes de vie occidentaux, plus l’idée de se mettre au vert dans un contexte urbain sonne bien utopique. Retrouver une connexion organique avec le vivant, même au cœur de la ville, est-ce vraiment dépassé ? Après les pièces de la maison, il est question de remettre des plantes à l’extérieur. Après plusieurs années d’expériences plastiques, de matières trouvées dans des décharges puis recyclées (Nostalgie des astres, 2024), Evor a décidé de repeupler une cour quelconque à Nantes pour retrouver « toutes ces matières qui constituent la terre ». Images d’archive à l’appui, toutes sortes de variétés végétales sont plantées en pot, et ces plantes s’étendent jusqu’au niveau des fenêtres de l’immeuble (Jungle intérieure, 2018-2024). Mais au-delà de la beauté du contraste, y a-t-il une distance réellement prise avec l’anthropocène et nos propres ravages sur le vivant ? Pas de panique, Evor évite le délire de l’anthropocentrisme : plus bas dans l’exposition, ce dernier a créé des formes, aux allures de micro-organismes, sur un fond blanc en céramique (Limons des lames, larmes des mousses, 2024). Ces taches vert foncé contaminent peu à peu le mur, pour coloniser le plafond. Dans ce dialogue entre les installations, un contre-discours se fait sentir sur la capacité des humain·es à faire relation, avec n’importe qui ou n’importe quoi.



Entropic Clonography et Surrogate Spunk (2024), Paula Nishijima © Jean-Christophe Lett



Le vivant, tu l’aimes ou tu le quittes


Les frontières entre les espèces sont encore trop rigides, et la cohabitation difficile : faut-il alors créer des formes encore plus radicales ? La réponse est peut-être à chercher du côté du numérique, depuis les réseaux, par ce qui se filme en continu. Julie Vacher et l'artiste brésilienne Paula Nishijima l’ont toutes les deux saisi, avec comme point névralgique l’image, tout simplement. Chimère song fait (presque) parler les algues vertes qui envahissent les plages bretonnes. Une conséquence mortelle de l’industrie agroalimentaire et de la pollution qu’elle rejette dans l’océan. En les filmant tantôt de haut, tantôt de près, au soleil couchant avec une voix off édulcorée, l’artiste les légitime malgré la toxicité et la répulsion qu’elles inspirent. Une façon, quelque part, de nous mettre face à nos propres erreurs. Face à cette vidéo, deux écrans-télé – où défilent des extraits de TikTok –, saturent au premier abord yeux et oreilles. Défi relevé par Paula Nishijima avec son Plug-in Habitat : prendre du recul sur nos pratiques, les détacher d’un contexte, et nous les planter sous les yeux. Par quel canal, physique ou numérique, passe la relation et le désir ? N’y a-t-il pas de bestialité dans cette avidité de tout filmer ? Par inversion, ces images n’humanisent-elles pas les espèces non-humaines par leur affectivité et leur immobilité ? Plus l’on stationne devant ces télés, plus ces superpositions numériques, a priori accessibles, revêtissent des significations plus lugubres, de nos fantasmes inavouables à nos désirs empêchés.



Enfin, peut-on transformer « des crises en espaces de dialogue » ? C’est ce qu’Anaïs Dunn s’est demandée. La sculptrice a placé les nuages au centre de son installation, à la fois synonymes d’émotion brouillée et de mauvais temps. Au-dessus d’une mare rectangulaire, des nuages de verre sont suspendus à l’aide de tuyaux par lesquels de l’eau noire coule, créant un bruit strident qui résonne dans chaque pièce. Cela fait toujours du bien de parler de la pluie et du beau temps ou de l’incontrôlable mécanique des pollutions intérieures (2024) tape dans le mille, par la fusion entre émotions et secousses climatiques. Ce dispositif cristallise l’ambition de Kin(d) Relations II : pas question de simplement créer des ponts entre les espèces, il faut mettre en place et expérimenter l’hybridité, voire effacer toute trace de la domination humaine. Le pari est audacieux.



Cela fait toujours du bien de parler de la pluie et du beau temps ou l'incontrôlable mécanique des pollutions intérieures, Anaïs Dunn (2011) © Jean-Christophe Lett



Kin(d) Relations II, exposition collective jusqu’au 29 décembre au Transpalette - Antre Peaux, Bourges

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