CHARGEMENT...

spinner

Une ville en feu, des cadavres jonchant le sol, des civils et des militaires réunis dans une même mêlée sanglante : le Sac d’Anvers, un tableau daté approximativement de 1580, visible au Palais des Beaux-Arts de Lille, sert de préambule à Lille3000 dont le thème est la « Fiesta ». À des représentations d’une extrême violence comme celles-ci, répondent, à la même époque – tout au long du XVIe siècle –, une considérable production de scènes de fêtes et de convivialité. Pourquoi tant de réjouissances au temps de l’horreur ? Appel à dépasser des événements obscurs, volonté de rassembler quand la division atteint son apogée, la fête a pour fonction de racheter le malheur. Dans un autre genre et avec les préoccupations de notre époque, quatre artistes contemporains soulignent l’ambivalence de ce soudain (et parfois violent) lâcher prise qui accompagne la fête. À l’Hospice Comtesse, un espace qui accueillait anciennement des malades, des orphelins et des invalides, l’exposition The Distorted Party nous place dans un de ces états hallucinés – auxquels peuvent conduire certaines pilules non-pharmaceutiques – et questionne d’une nouvelle manière une festivité qui ne parvient pas à éteindre complètement la mauvaise conscience.



Vue de l'exposition The Distorted Party au Musée de l'Hospice Comtesse © Dufour photographies



Pièce montée


Point de mourant dans la salle des malades, mains une foule de sculptures hybridant culture pop et références classiques. C’est un Mickey difforme dont la gueule montre les dents, ou encore le buste d’un Pinocchio sans yeux ni bouche, qu’on reconnaît uniquement à son long nez. Toutes de la couleur du plâtre – clin d’œil aux bandages des patients de l’hospice – , les œuvres de Nadia Naveau ont des contours courbes, irréguliers, à la manière d’une pièce montée en train de fondre. Comme si elles avaient été érigées avec de la crème chantilly. Dans cette salle dont les murs ont été recouverts de miroirs déformants, la perception du spectateur bascule : les lignes ondoient, des figures émergent. Au bout de ce « voyage hallucinatoire », on s’élève encore d’un cran, en arrivant dans la chapelle. Sur un écran de 7 mètres de haut, Kenny Duncan exalte l’énergie de la nature antillaise. Flash et lumières stroboscopiques électrisent les mouvements captés en gros plan d’une scolopendre, d’un touloulou (variété de crabes caribéens) et d’une grenouille dite « hylode » – dont le son aigu mystifie la nuit créole. Cette fête-là est globale, cosmique, elle veut happer l’ensemble du vivant dans sa transe.



© Nadia Naveau



Malaise dans la célébration 


Après la montée, vient le bad trip. Dans l’intimité des appartements, à l’abri des regards, la Distorted Party se prolonge sous un jour plus sombre. Dans l’ancienne cuisine de la communauté religieuse, au creux de la cheminée, une guirlande multicolore – constituée d’une infinité de Tours Eiffel miniatures – est suspendue à d’épaisses chaînes : Malfouti (malaise en créole) de Kenny Duncan est forgé dans la contradiction, entre un folklore touristique mondialisé et une histoire internationale marquée par le commerce triangulaire. Aux murs, la dominante rouge des tableaux de Willehad Eilers contraste avec les carreaux de faïences lilloises bleus qui décorent cet intérieur. Les protagonistes de ses peintures aux visages ravagés parlent d’une humanité monstrueuse qui cède à ses instincts : pulsion de mort et pulsions sexuelles se croisent volontiers dans des scènes où beuverie et orgie se rejoignent. En même temps que les lignes des sculptures de Naveau se distordent, les contours de la moralité s’effacent dans les scènes de carnages peintes par Willehad Eilers. C’est dans ce final autodestructeur que s’achève l’exposition. The Distorted Party se conçoit comme un crescendo, dont le climax brutal en dit long sur les rouages cathartiques de la fête : plus il y a de problèmes à évacuer, plus la décompensation est violente.



The Distorted Party, jusqu’au 9 septembre, dans le cadre de Lille3000, au musée de l’Hospice Comtesse, Lille

Lire aussi

    Chargement...