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Malgré le béton, ça germe toujours, l’artiste Julie C. Fortier en est convaincue. À peine arrivé·es, une odeur florale nous enveloppe. On s’approche, encore un peu, et à quelques centimètres des œuvres l’odeur forme un parfum liquoreux. Le secret : les clous de girofle, utilisés à l’envi. Des clous sur le mur (La migration des étoiles) ou encore en teinture dans laquelle les rideaux au centre de l’espace d’exposition auraient trempé toute une nuit (Ton haleine est mon horizon). Le son ne vient interrompre que très légèrement cette baignade olfactive : le bruit discret d’une vidéo de paysage, capté à travers la vitre d’un train (Sunrise (from solstice to solstice), 2013).


Grâce à la scénographie, la nature devient étrangement humaine, comme ces quatre écorces de cèdre lisses, réunies en cercle, qui se regardent, qui s’échangeraient presque des messes basses inaudibles (Mon reflet dans tes larmes, 2024). Nous entrons alors dans les interstices de l’ethnobotanique. Qu’est-ce qui nous lie aux végétaux ? Comment mieux apprendre à se connaître en instaurant des liens sages et sains entre eux et nous ? À mesure que l’on avance dans l’espace, cette frontière humain écrasant / plante écrasée s’estompe. Nous existons ensemble puisque nous cohabitons sur les mêmes terrains. Et cette végétation nous remplit, comme un souvenir brumeux qu’il faudrait déterrer de notre mémoire. D’où l’usage du cèdre, du bois, de matériaux naturels comme personnages principaux, tout en évitant de tomber dans des formes trop brutes ou opaques. Les clous de girofle microscopiques sur un mur blanc ne sont plus vraiment des fleurs, mais des entités, concentrées aux centre, égarées sur les côtés, comme une grande communauté transitoire qui s’éparpille, prête à coloniser de nouveaux murs, ou à s’enfuir définitivement.


Vegetal dreams


Quel parfum aurait notre disparition ? Dans une petite pièce sombre, les lumières s’éteignent soudainement, nous laissant aveugles devant les œuvres. Quelques unes se colorent, nous encerclent et nous observent sans malveillance, en forêt protectrice (Les fleurs amoureuses). Ici, il nous faut s’en remettre à notre odorat. Cette fleur-tapis en laine accompagnée de neuf tableaux au mur semble nous dire quelque chose : nous pourrions, nous aussi, changer de couleur la nuit, lorsque l’on ferme les yeux.


À l’extérieur du centre d’art, sur l’esplanade Mandela, face au monde urbain, une fresque de plusieurs mètres de longueur croise les passant·es. Gabrielle Herveet l’a flanquée d’une ligne de plantes séchées, au sol, comme un miroir tendu à tous les bipèdes pressés passant à Nanterre. Les matériaux au sol pour un retour au terrestre, au tangible, loin de l’élévation prétentieuse des œuvres. Nous sommes là où nos sens s’articulent, où la vue s’animalise et l’odorat s’humanise. L’anthropocène n’a pas de beaux jours devant lui. Je te suivrai jusqu’à la frontière de ton odeur Là où la lumière se déchire un peu travaille l’alliance inter-espèces et décrédibilise l’opposition visqueuse entre nature et culture. Pour mieux regarder les plantes, et donc pour mieux nous regarder nous-mêmes, il faudrait multiplier les perspectives, tout comme pour accéder à la double-lecture des œuvres. Les gouttes d’eau en verre suspendues dans l’entrée nous avertissent d’emblée : elles semblent douces, accueillantes ; mais si l’on s’allonge en-dessous, elles menacent de nous tomber sur la tête.




Je te suivrai jusqu’à la frontière de ton odeur / Là où la lumière se déchire un peu de Julie C. Fortier et Gabrielle Herveet, jusqu’au 21 décembre à La Terrasse - Espace d'art, Nanterre

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