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Six hommes posent face caméra, regards droit dans l’objectif. Peaux noires, cheveux crépus coupés courts, élégants costumes cravates, ils tiennent avec désinvolture des vinyles de jazz à la main. Au fond de la scène, l’objectif d’une chambre photographique nous observe. Clin d’œil méta à l’image et influence musicale : le portrait des six membres de l’African Jazz Art Society & Studio (AJASS) qui ouvre cette rétrospective réunit d’emblée quelques-uns des motifs phares de l’œuvre de Kwame Brathwaite. En deux salles bien fournies, l’exposition trace un parcours chronologique où des figures mythiques de la musique côtoient des mannequins et des personnalités politiques, dessinant la mémoire vive de la culture noire américaine du XXe siècle.



L’aventure commence à Brooklyn dans les années 1950. À l’époque, Kwame Brathwaite et son frère Elombe tournent dans un groupe de jazz. Activistes proches du panafricanisme et des idées du militant Marcus Garvey, les deux jeunes hommes cherchent leur place et leur identité dans une société profondément raciste qui méprise la culture afro-américaine. Au même moment, les scènes blues et jazz, en plein élan, captent l’essence de l’expérience noire et relient radicalités artistique et politique en un même geste. Kwame photographie cette effervescence au cœur des clubs de Harlem : ses clichés sont classiques et maîtrisées, des instants de vie et de scène, des backstages capturés dans le viseur carré d’un appareil Hasselblad. Entrevoyant la possibilité de visibiliser un autre corps noir, le jeune homme réunit les Grandassa Models, un groupe de mannequins revendiquant une beauté noire au naturel, affranchie des normes blanches. Ils imaginent bientôt les contre-défilés de mode Naturally, des happenings à la croisée du concours de miss, de la jam musicale et du meeting politique. 


Des noirs et blancs veloutés des 1960’s à l’explosion de couleurs des 1970’s, Brathwaite documente de l’intérieur la vie, le quotidien et les luttes de la communauté afro-américaine. Ces instantanés – ici un groupe d’enfants jouent avec des lance-pierres, là un homme harangue la foule en manifestation – côtoient des clichés de mode ou des pochettes d’album, témoignant d’une liberté se construisant consciemment, au mépris d’une réalité hostile. Ces images, épurées et élégantes, mettent en valeur le glamour et la beauté des sujets, des cheveux afro fièrement laissés au naturel aux motifs complexes des vêtements, bijoux ou coiffes inspirés de costumes traditionnels africains. Dans les dossiers de presse comme les illustrations de magazines, les figures populaires font figure d’ambassadeur·ices de la culture noire, de Muhammad Ali à Grace Jones en passant par Stevie Wonder. Black is Beautiful devient le slogan d’une révolution esthétique, celle d’une société afro-américaine se fabriquant l’identité qui lui a toujours été refusée. Un hommage aux images et à la mémoire des luttes raciales qui résonne étrangement dans le contexte actuel : si l’importance des représentations positives est considérable, suffiront-elles encore à l’heure où les minorités ethniques américaines sont visées par des politiques chaque jour plus violentes ? Par-delà leur portée documentaire, les clichés de Kwame Brathwaite rappellent l’immense pouvoir des luttes collectives et la valeur d’une culture construite dans l’adversité.



Black is Beautiful de Kwame Brathwaite, jusqu’au 5 octobre au Centre Photographique de Mougins

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