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Le Palais de Tokyo a beau être l’un des centres d'art les plus visités de Paris, on a toujours une légère inquiétude en descendant en son ventre – grey cube tout en béton. Après avoir soumis l’institution à un rigoureux bilan écologique, son nouveau directeur Guillaume Désanges passe à l’acte : plutôt que les salles baignées de lumières des étages – véritables étuves difficiles à climatiser en été –, on préfèrera cet été la fraîche pénombre des sous-sols. Au niveau -1, le piège se referme : du verre pilé au sol, des bombonnes usagées de gaz hilarant, des lames en tout genre, le tout aligné avec une attention psychotique. Isolée dans ce tableau, une chaise sur laquelle on se voit déjà ligoté. C’est ou une salle de shoot, ou un repère de tortionnaire, ou bien les deux. Il y a pourtant quelque chose d’irrésistible dans l’installation Du Miel sur un couteau où des néons blancs font scintiller ce sol de fakir.


Vue d’exposition, Laura Lamiel, Vous les entendez ?, Palais de Tokyo, Aurélien Mole


Pour trouver sa matière première, Laura Lamiel se fait glaneuse : Emmaüs, les puces ou la rue. Elle ramène ses bibelots à son atelier – bête vivante, gloutonne, vorace, qui s’en nourrit. Mais c’est là que le vrai casse-tête commence. L’artiste rejette la comparaison avec les surréalistes, la trouvaille n’est pas une fin en soi et le choc esthétique provoqué par la réunion d’objets incongrus l’intéresse peu. En tant qu’héritière de la peintre minimaliste Agnès Martin, maîtresse des monochromes, Laura Lamiel récuse toute prétention narrative. Sa quête est ailleurs, dans la recherche du bon agencement. Elle déplace ses objets comme un peintre compose sur la surface de la toile. Rigueur architectonique, symétrie, linéarité, respect absolu des protocoles : dans son discours, l’exigence spatiale prend toute la place. Au détriment de la sensualité et de l’émotion ? Pas tout à fait…


Dans des cases 


Une vaste étagère en métal de 7 mètres de longs – peut-être une bibliothèque, pour celle dont la mère était professeur de littérature. Dans les rayonnages, Laura Lamiel a accumulé des morceaux de linge blanc de façon obsessionnelle : 300 kilos de textile finissent par blinder la structure. L’œuvre Dans les plis cherche la saturation, joue même avec les limites de l’implosion. En minuscule, des phrases à l’encre notées sur les tissus, en guise d’avertissement : « rien n’est à faire, tout est à défaire. » Si la plasticienne a depuis longtemps quitté l’espace bidimensionnel de la toile, elle continue de travailler dans l’enceinte de périmètres bien définis. Dans cette stricte organisation de l’espace, existent des rapports de force : la chaise bien droite qui maintient l’individu à sa place, est un motif récurrent. Dans une autre sculpture, « Sans titre » (2000) on voit celle, fragile, d’un enfant, appesanti de plusieurs barres en acier qui l’écrasent.


Vue d’exposition, Laura Lamiel, Vous les entendez ?, Palais de Tokyo, Aurélien Mole


Passages dérobés 


Une cabine, délimitée par des verres sans tain, très justement nommés verres espions, avec à l’intérieur un bureau. On pense d’abord à une salle d’interrogatoire. Pourtant, dans cette pièce où l’espace est compartimenté, des respirations sont possibles. Le seul film réalisé par Jean Genet en 1950 s’intitulait : Un Chant d’amour. Laura Lamiel emprunte ce titre pour une installation. Dans l’œuvre de Genet, deux prisonniers homosexuels s’envoient de la fumée de cigarette par un trou dans le mur –alibi d’un échange érotique. La pièce n’est plus une cellule mais un atelier d’artiste dans laquelle Laura Lamiel s’évade en s’isolant. L’artiste se joue des barrières physiques et affirme que des communications indirectes sont toujours possibles. Comme dans la cellule d’un Sade, qui continuait de développer son imaginaire dans le creux d’un rouleau coincé entre deux pierres.



Vue d’exposition, Laura Lamiel, Vous les entendez ?, Palais de Tokyo, Aurélien Mole



> Vous les entendez ? de Laura Lamiel du 16 juin au 10 septembre 2023 au Palais de Tokyo, Paris

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