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Dès l’entrée de l’Institut d’art contemporain, quelque chose déroute. Nous pénétrons une succession de salles plongées dans le noir, croyant découvrir le travail désincarné car trop technique d’un de ces artistes maniant la création 3D comme un développeur de jeux vidéo. Car c’est bien dans cette esthétique que baigne les installations du Taïwannais LI Yi-Fan, né en 1989. Celle de la culture internet des années 2000 à 2010, digérée puis appropriée par une génération d’artistes biberonnés au numérique. Sauf que le travail de LI n’est ni plat, ni ennuyeux, ni trop sage. Dans sa série de vidéos, légèrement glauques pour certaines, on croise des humanoïdes au teint gris, des démons à tête blanche, un monstre bariolé et des golems. Ces personnages dansent, crient, vomissent des phrases absconses, nous guident dans les méandres d’un historique web douteux, puis dans les coulisses du tournage d’un film en live action. Le tout se vit comme une virée en réalité virtuelle dans la tête de l’artiste. Baroque et inquiétant. 

 


LI Yi-Fan, Boring Gray, 2021-2025. Vue de l'exposition Last Warning à l'IAC Villeurbanne. © Thomas Lannes



La débauche d’images que LI Yi-Fan manie au quotidien pour composer ses immersions numériques est mise en scène dans Boring Gray, vidéo projetée sur des morceaux de carton formant un monstre géant. L’œuvre a été imaginée comme un antidote aux applications qui boostent notre concentration en atténuant les couleurs et la luminosité de nos écrans du quotidien. Résultat : on ne sait où donner du regard. Pour sur-stimuler le visiteur, en bon Frankenstein, LI a glané des images issues de jeux vidéo, de banques de données et d’archives, pour fabriquer sa créature. Ici une bouche affichant un sourire Colgate, là une surface cutanée en gros plan, là encore une paire d’yeux révulsés, mais aussi des aplats de couleur rouges, bleus, vert pomme. Du corps du monstre nous parviennent des phrases : « Dans une foire on a vu un scientifique qui dessinait une main en 3D sur ordinateur. Quelle frayeur ! L’animation sur ordinateur est le super médicament depuis les années 1990. », entonne la bête. LI Yi-Fan suggère que notre obsession pour ces mirages algorithmiques vient d’un mal-être profond. Celui-ci est-il sociétal, politique ou individuel ? Quoiqu’il en soit, ces maux constituent un monde parallèle que l’artiste se plait à nous peindre en noir. 

 



LI Yi-Fan, important_message.mp4, 2019-2020. Vue de l'exposition Last Warning à l'IAC Villeurbanne © Thomas Lannes



Obscure, la vidéo IMPORTANT_MESSAGE.MP4 l’est tout autant. La scénographie nous place au centre d’un dispositif circulaire pour faire face à un écran incurvé à hauteur de regard. Un avatar de l’artiste nous guide au rythme d’une narration mêlant informations factuelles – parutions scientifiques, articles de presse –, et théories complotistes que LI a prélevées dans des content farms, ces plateformes qui inondent la toile de contenus cheap et toxiques pour influer sur les opinions. Chez LI, cet amalgame s’étale le long d’une grande fresque colorée. Sous hypnose dans cet environnement immersif, la véracité de ces documents mis bout à bout n’importe plus. Seule demeure la réalité du sentiment que procure l’œuvre : un étourdissement. L’impression d’être pris dans un raz de marée de vrai et de faux. Si vous en doutiez encore : les fakes news ont bel et bien un effet sur nos imaginaires. Face aux images numériques s’installent le doute, la précaution ou l’assentiment maladif. L’intitulé de l’exposition nous en alerte explicitement : Last warning, naviguer dans les écrans n’est pas bénin. Les abysses du monde digital ont un effet sur le corps et leur noirceur nous avilit. Et si les figurines 3D aux yeux cernés, rougis de fatigue, qui traversent l’œuvre de LI Yi-Fan n’étaient que des humains cramés par leur surconsommation numérique ? 

 

Last warning de LI Yi-Fan, jusqu’au 27 juillet à l'IAC, Villeurbanne

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