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Les grands mystères, ceux que l’on peine à déchiffrer, à expliquer, le fascinent. Dans ses œuvres, Morgan Courtois raconte, par l’anecdotique, la transmutation, celle véhiculée par les statues du Christ ensanglantés et de vierges pleureuses qui ont croisé sa route. L’artiste évoque combien il trouve poétique la manière dont ces représentations continuent encore aujourd’hui de transmettre une énergie particulière. On ne pourra jamais vraiment fixer un mot sur un miracle. Comment le figurer, comment le figer en une simple image ? Il faudrait plus, il faudrait autrement. Une matière, un souffle.

Cette tentative de reproduire l'irreprésentable transpire de ses installations aux accents baroques, composées aussi bien de détails d’images sacrées ou profanes que l’artiste collectionne, que de flacons promettant l’enivrement, de chemises ou de parfums bas de gamme comme très chics. Ni cauchemardesques ni idylliques, les expériences sensorielles qu’il propose rappellent les moments flous du réveil, où les contours entre rêve et réalité sont encore indistincts et où seul persiste un trouble. Ce dernier a pris bien des noms au cours de l’histoire, « apparition », « inconscient », « possession diabolique », « état modifié », « visite divine »…

 

De la transmutation à l’incarnation

Quels que soient les mots que l’on pose dessus, le trouble constitue la colonne vertébrale des œuvres de l’artiste. Celles-ci engagent le corps, celui qui sent et celui qui incarne, à l’image de ses sculptures de chair, qui lui ont valu le prix Meurice en 2017 avec la complicité du parfumeur Barnabé Fillion. D’échelles variables, ces peaux en plâtre exsudent. Morgan Courtois reproduit ces épidermes blafards d’après les photographies qu'il prend en cadrage serré : la naissance d’une verge, un pli de l’aine. Ces mises au point découvrent le potentiel érotique de chaque détail de peau. Une sensualité qui s’incarne également dans les fleurs qu’il utilise de manière récurrente dans ses installations. « Je suis entouré de bouquets de fleurs, que ce soit chez moi ou à mon atelier. Il y en a beaucoup car je les laisse très longtemps, de leur épanouissement jusqu’à leur décadence. Chaque temporalité est inspirante : l'évolution des couleurs comme celle des textures des pétales, l'affaissement de leur architecture. » Le lys enivrant dont l’opulence suave peut rappeler les notes bestiales et lourdes de certaines haleines chaudes ; la tubéreuse ensorcelante qui évoque la terre humide. Le trouble s’installe entre les fragrances mi-végétales mi-animales de ces fleurs et celles que l’artiste compose lui-même à base de mégots de cigarette, d’urine, d’essence, de poppers, d’huiles végétales et de parfums bon marché.

Les atmosphères créées sont semblables à celles, fourmillantes et foisonnantes, que l’on peut traverser au détour d’une rue ou d’un jardin. Des espaces publics que l’artiste, flâneur, arpente sans cesse, où les rencontres se font à l’improviste et où les imprévus peuvent se multiplier. « J’aime beaucoup les accidents. La part de hasard, d’incontrôlé et d’énergie dans ces lieux en mouvements ». Des capsules où règneraient l’ambiguïté et l’indicible, où les formes et les matières ne seraient jamais véritablement figées ni analysables, et auxquelles Morgan Courtois associe son travail.  « Il y a parfois quelque chose de tyrannique dans les textes analytiques, car les mots étouffent la forme, déclare-t-il d’emblée à la commissaire d’exposition Zoé Stilpass à l’occasion de son exposition à la Fondation Pernod Ricard. C’est l’argument de Susan Sontag dans Contre l’interprétation : “L’art n’a rien à voir avec l’intellect, il a à voir avec l’éveil des sens”, et je suis d’accord qu’une œuvre ne peut jamais être traduite et comprise clairement avec le langage. »

 

> Morgan Courtois, Décharge, jusqu’au 26 à la fondation d’entreprise Pernod Ricard, Paris

 

Légendes : 

Morgan Courtois, vues de l'exposition Décharge à la fondation d'entreprise Pernod Ricard © Aurélien Mole

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