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Au sol, différentes poches de textiles de coton remplies de sable invitent le spectateur à s’y délaisser et à ouvrir ses sens avec l’idée de se reconnecter avec soi et son temps intérieur. Ici, on ne contemplera pas une œuvre telle qu’entendue et validée dans, et par, le milieu de l’art. Plutôt, une œuvre à visée thérapeutique échappant aux contingences, délimitant une zone d’attention prioritaire : le corps mémoriel et collectif, que Myriam Mihindou honore fidèlement à la façon des mères-louves. Sa pratique, nourrie d’expériences sensorielles, s’inscrit dans le rituel qui est aussi, en plus d’être performatif, partagé avec le public. Elle décode et va puiser dans des registres peu exploités et souvent inédits. D’où cette considération pour l’infime, l’indescriptible ou l’invisible. Le sable tient une place prépondérante dans l’espace d’exposition. Dissimulé sous un textile, ou « tissu physiologique », il soutient et contient les corps voire les âmes. L’artiste rend hommage au ver de sable : arénicole, pourvu de qualités particulières, il participe à l’équilibre environnemental au même titre qu’une espèce plus volumineuse. Bien que parfois invisible à l’œil nu, il agit pourtant en produisant des traces, laissées sur le sable, sortes d’arabesques que l’artiste reprend dans un carré de sable dédié, au sein duquel le public peut former ses propres formes et les partager. Le signe devient alors un symbole à décoder, comme si l’on était face au carré de l’oracle. Manière de rappeler que nous, êtres humains, sommes aussi une espèce en collaboration avec toutes les autres, et qu’à ce titre, nous sommes garants d’une arborescence.

Vue de l'exposition Epiderme de Myriam Mihindou à la Verrière – fondation d'entreprise Hermès 


L’approche directe vers ces grains sableux produit inévitablement une attraction vers la mémoire de l’enfance auprès des bacs à sable, et près desquels l’eau n’est jamais très loin. Le sable est un territoire nourricier et toute vie prend naissance avec et par l’eau. Le fluide aqueux infiltre littéralement les murs où sont sobrement épinglés des « dessins épidermiques ». Des papiers de soie, papiers calques, papiers trempés de thé, de fleurs d’hibiscus, nourris d’eau, superposés, qui rendent ce pan de surface particulièrement fragile. A la fois, praticienne, chercheuse, chamane, l’artiste conduit à l’activation des êtres vivants et des environnements en vue d’un décantage des liquides, d’un nettoyage des solides, d’un rééquilibrage des forces. Pour elle, les rapports de domination, d’asservissement, d’emprise et de captation des esprits, des corps et des terres sont des zones à nettoyer pour calmer et guérir.

Vue de l'exposition Epiderme de Myriam Mihindou à la Verrière – fondation d'entreprise Hermès 


Le langage comme propagande, la langue comme incantation


Un peu plus loin, posé simplement au mur, un drap de coton marqué au feutre délivre une inscription : « To suck one’s teeth » ou l’équivalent du tchip, l’interjection de contestation très utilisée dans les territoires anciennement colonisés et par les populations diasporiques ainsi que leurs descendants. L’inter-langage de ce type symboliserait l’ « Homme debout ». Chez Myriam Mihindou, qui puise son inspiration dans les langues, les savoirs et leurs naissances, la forme reste indissociable de sa transformation aléatoire, le vocable normé a autant d’importance que le message informe. C’est pourquoi les mots et leur sens étymologique occupent pour elle un socle de recherche prépondérant, qu’elle explore le plus loin possible et toujours selon les contextes reliés aux notions d’appartenances de territoire, de genre, de race, de classe. L’artiste produit des sens doubles continuellement, en ayant bien conscience que la réparation passe aussi par la compréhension que l’on a des mots. 

Vue de l'exposition Epiderme de Myriam Mihindou à la Verrière – fondation d'entreprise Hermès

> Myriam Mihindou, Epidermejusqu’au 3 décembre à La Verrière, Bruxelles