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On entre dans l’exposition comme on entrerait dans un livre de contes, avec la sensation de pénétrer un monde aussi fabuleux qu’inquiétant, voire menaçant. Le plus souvent sur fond noir, comme dessinés à la craie, les paysages feuillus d’Omar Ba se succèdent dans une mise en espace classique évoquant le musée d’histoire. Chaque toile recèle une foule de détails et de motifs tracés au pinceau fin, dans des gammes de couleurs toujours maîtrisées : bleu, bronze, noir et ocre. À travers ces opulents tableaux, habités par des figures de pouvoir surplombantes et pleines de dédain pour le visiteur, le peintre dénonce la guerre, la misère et la déroute politique.


Monde parallèle II", 2023 ; encre, acrylique, huile, crayon, gouache sur carton Kraft -150 x 240 cm - Courtesy de l’artiste © La Kunsthalle, Jean-Jacques Delattre


À la faveur de masques opaques, les visages des personnages d’Omar Ba s’évanouissent. Nombreuses sont ces silhouettes cachées derrière des jeux d’ombres et des feuilles ressemblant à des plumes, aux dépens de la perspective. Mais par de-là ces arrière-plans baroques, certains faciès se dessinent en trois dimensions comme dans Superman and the Constitution II et III (2021). On aperçoit des hommes déguisés en chefs d’État, leurs épaisses mains posées sur un livre précieux, une Constitution. Dans les deux toiles, le spectre d’une femme surplombe un homme en costume-cravate. Ces notables ne viennent pas de nulle part, ils sont sans exception épaulés par leurs épouse, mères, sœurs ou collègues. Ainsi accentuée par ces deux fantômes féminins, la composition verticale des peintures transforme l’image en un monument pictural, étourdissant de hauteur. Anonymisant les visages, la peinture d’Omar Ba interroge l’accaparement du pouvoir par ces figures politiques qui prolifèrent dans tous les États du monde.


Coup d’œil en coulisses 


Il serait donc question d’autorité. Politique d’abord, dans un dégradé allant de la démocratie à la dictature puis esthétique. Comment distinguer ce qu’une œuvre impose de ce que le visiteur y projette ? Face à la peinture d’histoire, et ce d’autant qu’elle est parfois chargée de l’engagement de l’artiste, l’on se sentirait pris en otage par un spectacle démonstratif qui ne laisse que peu de place à l’errance de l’imagination. Fortification (2023) ne laisse par exemple aucun doute en la matière. Les centaines de sacs de l’armée suisse entassés convoquent l’imagerie de la guerre autant que sa réalité de fiction politique pourtant bien matérielle. Conscient de la charge de cette tradition artistique, Destins communs n’oublie pas d’offrir au visiteur l’envers du décor. Derrière une cimaise en fond de salle sont présentés une série d’objets à la source des inspirations d’Omar Ba. Dans Documents de travail et Laboratoire privé (2023), les images, archives, documents administratifs et autres anecdotes glanés çà et là dans l’atelier de l’artiste rééquilibrent le jeu. On comprend par exemple de quelle basket aperçue sur un marché au Sénégal est tirée la nuance de bleue admirée plus tôt dans la galerie, ou encore quelle histoire franco-africaine douloureuse hante les toiles de l’artiste. Destins communs démonte l’exposition traditionnelle et décortique, l’air de rien, le processus de création de ces peintures d'histoire contemporaine. Percés à jour, les secrets de fabrication exposés dans Documents de travail et Laboratoire privé favorisent une distance critique chez le visiteur. Omar Ba questionne ici les figures d’autorité et invite le visiteur à en faire de même.




> Destins communs du 9 juin au 29 octobre 2023 à la Kunsthalle de Mulhouse 

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