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Thao Nguyen Phan aime l’histoire quand elle rencontre l’art. L’artiste vietnamienne, née en 1987, croise dans son travail recherche universitaire, enquête anthropologique et collecte d’archives. Une fois imprégnée d’une période historique, elle la digère et produit une matière très libre, poétique, et une pensée qui s’autorise à aller au-delà de la science. Naissent alors de délicates aquarelles représentant des traditions vietnamiennes, des vidéos contemplatives traversant des paysages pluvieux, ou de fragiles sculptures en matière organique, comme de la paille. Cette atmosphère, gorgée de références au passé, est impossible à embrasser complètement au premier abord. Le titre tout en lyrisme de l’exposition, Le soleil tombe sans un bruit, est emprunté aux Récits de la paume de la main (1916-1964) de l’écrivain japonais Yasunari Kawabata. À la lecture, ce texte poétique, influencé par le surréalisme, a donné à Thao Nguyen Phan l’impression d’observer des images en mouvement, à la surface desquelles se superposaient les couches du passage du temps : passé, présent, futur. Un thème qui traverse la présente exposition monographique, sa première en France : le temps répare-t-il les blessures ou relègue-t-il la douleur aux oubliettes ? 

 



Vue d'exposition, Thao Nguyen Phan, "Le soleil tombe sans un bruit", Palais de Tokyo. Courtesy de l'artiste et ZINK Gallery (Allemagne) © Aurélien Mole




Le présent assemblage de vidéos, peintures et sculptures dresse des ponts entre France et Vietnam en révélant les fantômes de l’histoire coloniale. Parmi eux, le missionnaire Jacques Dournes (1922-1993), figure de proue de l’ethnologie de l’Asie du Sud-Est, connu pour ses travaux sur la littérature orale et son expertise en théologie. En parallèle de films méditatifs où défilent fleuves et paysages, inspirées des pérégrinations de Dournes, une série d’aquarelles reprend le motif du prêtre jésuite Alexandre de Rhodes (1591-1660), l’un des premiers Européens à parcourir la Cochinchine et le Tonkin. L’homme a aussi participé à la première transcription phonétique et romanisée de la langue vietnamienne. Prestige scientifique qui n’aveugle pas Thao Nguyen Phan. Dans une des peintures de la série Voyages de Rhodes (2017), brossées à l’eau, des hommes et des femmes portent sur leurs épaules les mots « White optimism » en lettres capitales. Sur d’autres pages jaunies par le temps se profilent des silhouettes habillées en tenues traditionnelles parmi des bâtisses anciennes. Leurs couleurs pales s’effacent derrière les mots de ces ouvrages que l’on devine scientifiques et donc « objectifs ». Le scepticisme de l’artiste est clair. Que reste-t-il d’une culture une fois que d’autres l’enferment dans un livre, dans les termes rigides de la science ? Rien que des images tronquées, diluées. 

 



Thao Nguyen Phan, Voyages de Rhodes, vue de l'exposition "Le soleil tombe sans un bruit", Palais de Tokyo, Courtesy de l'artiste © Aurélien Mole 



Par-delà cette critique historique sensible et pertinente, bien que parfois trop allusive, l’exposition tente d'autres résurgences inattendues. Les travaux passés dans l’oubli de la moderniste vietnamienne Diem Phung Thi (1920-2002), ex-dentiste devenue artiste, installée en France en 1948, s’exposent à côté de ceux de Nguyen Phan, comme une exposition dans l’exposition. Reconnue mais peu montrée et étudiée, une salle entière lui est consacrée. Des dizaines de ses petites œuvres joufflues sont disposées sur une table ronde, à l’écart du travail de Thao Nguyen Phan. Autant de formes modulaires qui semblent s’accoupler. Les œuvres rappellent ces crochets que l’on utilise dans la charpente des pagodes. Le principe s’inspire de l’architecture mais aussi de la sensualité du corps qui intéresse beaucoup Diem Phung Thi. Un jeu de formes aussi réjouissant que référencé et précis : sa bibliothèque personnelle était remplie d’ouvrages sur le yoga, le massage, la kinésithérapie et la phytothérapie. Quel rapport se noue entre son travail et celui de Nguyen Phan ? Peut-être aucun. Peut-être l’artiste-a-t-elle simplement voulu faire une place à une femme qui l’a inspirée, au sein d’un monde institutionnel qui les a trop longtemps laissées à la porte. 

 



Vue d'exposition, Thao Nguyen Phan, "Le soleil tombe sans un bruit", Palais de Tokyo, œuvres de Diem Phung Thi, Courtesy de l'artiste et ZINK Gallery (Allemagne) © Aurélien Mole




Le soleil tombe sans un bruit de Thao Nguyen Phan, jusqu’au 7 septembre au Palais de Tokyo, Paris


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