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À l’écart des puddings Netflix estampillés « film d’auteur » (l’académique The Wonder pour ne citer que lui), les visions les plus singulières du festival émanaient de films à cheval entre les genres. Bon nombre de productions sud-américaines, en premier lieu, appréhendaient la violence érigée en gage de virilité, telle qu’elle se répand dans toutes les couches de la société. Premier long-métrage de Natalia Lopez, Robe of Gems s’engouffre dans une intrigue polyphonique autour de trois femmes de différentes extractions sociales, dans un secteur du Mexique ravagé par les cartels : une aristocrate en phase de divorce venue rejoindre sa famille, sa femme de ménage impliquée dans un kidnapping et une femme flic dont le propre fils a rejoint un gang de narcos. Tentant de s’opposer à la corruption, toutes trois deviennent la cible de cartels aux méthodes barbares. Ce cauchemar éveillé alterne réalisme cru et séquences oniriques, non sans rappeler la litanie d’homicides égrenée dans 2666, le chef d’œuvre de l’écrivain chilien Roberto Bolaño. Invisible mais omniprésente, la violence gangrène chaque plan comme une épaisse chape de poussière sous un soleil de plomb, sans toutefois échapper à une esthétisation douteuse.




Doublement primé à Locarno, Tengo Suenos Electricos, second long-métrage de la costaricienne Valentina Maurel, dépeint quant à lui la relation fusionnelle entre un père divorcé, poète alcoolique aux accès de violence incontrôlables, et sa fille de 15 ans, tiraillée entre condamnation et compassion. Se gardant de porter le moindre jugement moral, Maurel examine l’ambivalence et la complexité du lien familial et met en question l’héritage de la brutalité : mimétique ou atavique ? Si le film n’apporte aucune réponse, il génère une tension électrique constante, soutenue par un impressionnant duo de comédien.ne.s (Daniela Marin Navarro & Reinaldo Amien Gutterez). De son côté, Un Varón, du réalisateur Fabian Hernández, dresse le portrait d’un gamin non-binaire, confronté à l’homophobie et à l’engrenage de la criminalité dans les ghettos de Bogota. Mis au défi de prouver qu’il est un « vrai homme », il est contraint d’exécuter un « contrat » sans rien laisser filtrer de sa féminité qu’il s’efforce de camoufler. À travers une approche semi-documentaire, Un Varón témoigne avec sobriété et justesse des conséquences d’une société à deux vitesses dans laquelle l’apprentissage d’une violence bassement machiste tient lieu d’acte de survie. Sur un sujet proche, Los reyes del Mundo (Grand Prix) s’accompagne d’une dimension spirituelle, entre road-movie et conte initiatique. Cinq enfants des rues de Medellin se lancent dans un périple à travers une chaîne de montagnes, à la recherche d’une hypothétique Terre Promise dans la région du Bajo Cauca. Trip sensoriel dans la lignée de Los Salvajes ou de Monos, ce second long métrage de Laura Mora témoigne d’un souffle épique qui a sans nul doute séduit l’islandais Hlynur Palmason, membre du jury et réalisateur de Godland.




D’une beauté stupéfiante, à mi-chemin entre Aguirre et Jauja, Godland était présenté hors-compétition après un passage remarqué à Cannes à la Semaine de la Critique. En deux heures et vingt-quatre minutes, le film retrace l’épopée d’un prêtre danois missionné à la fin du XIXème siècle pour bâtir une église protestante en Islande et immortaliser la population « indigène » avec sa boîte noire. À mesure que l’expédition progresse et que les conditions climatiques se dégradent, l’émissaire de Dieu – dont la condescendance n’a d’égal que la lâcheté – voit sa foi mise à l’épreuve tandis que ses rapports avec le guide du convoi, homme du cru en osmose avec la nature comme avec ses chevaux, tournent au pugilat. Sublimée par la photographie argentique de Maria Von Hausswollf et la partition éparse d’Alex Zang Hungtai (ex-Dirty Beaches), cette fable majestueuse possède l’aura d’un tableau de maître, arrimée à des thématiques intemporelles : la vanité de l’humain face aux éléments, la mise sous tutelle coloniale et la tyrannie du culte religieux. Après Winter Brothers et Un jour si blanc, ses deux précédents films, Palmason confirme son immense talent d’artiste.




Autre révélation du festival, présentée précédemment à Locarno, Piaffe est le premier long-métrage de la plasticienne Ann Oren, dans lequel une jeune femme est engagée pour remplacer une bruiteuse transgenre, hospitalisée pour des crises de démence. Alors qu’elle tente de bruiter un trot de cheval pour une étrange publicité pharmaceutique, elle se voit elle-même pousser une queue de cheval et se retrouve entraînée dans une relation SM avec un botaniste tentant de la « dresser ». Il y a du Buñuel et du Cronenberg dans ce conte radicalement arty, baignant dans la pénombre des clubs techno berlinois. La réussite du film repose autant sur la beauté magnétique et mystérieuse de Simone Bucio que sur l’organicité de l’image en 16mm, où le futur se révèle davantage dans le grain de la pellicule que dans la surface lisse des écrans numériques. À travers la métamorphose de l’héroïne, on assiste à l’éclosion d’une entité exogène, synthèse de l’animal et du végétal, qui est aussi la voie d’une émancipation. Une expérience filmique galvanisante, qui relève autant de l’art contemporain que du cinéma et ouvre de nouvelles perspectives de genre, dans tous les sens du terme.




On ne compte plus les films cherchant à traduire les émois de l’adolescence et l’éveil du désir, sans se départir de certains poncifs sociologiques. Il arrive pourtant qu’un petit miracle opère au détour d’un récit d’initiation, en apparence bien conventionnel. Tendre bluette entre une adolescente issue d’un milieu populaire et un étudiant propret de dix ans son aîné chez les parents duquel elle a élu domicile en leur absence, Fifi est de ceux-là. Lovée dans l’oisiveté estivale et l’attention fragile des non-dits, la réalisation de Jeanne Aslan et Paul Saintillan fait preuve d’un délicat impressionnisme dans sa manière de dépeindre l’éclosion du sentiment amoureux par-delà les disparités d’âge ou de classe, en partie grâce au charme pudique de ses deux interprètes principaux, Céleste Brunnquell et Quentin Dolmaire.




Affres de la sexualité online et déréalisation de la personnalité sont abordés de front par le réalisateur Manuel Abramovich, qui s’attache à la discordance de plus en plus aigüe entre vie privée et exhibition sur les réseaux. Portrait plus ou moins fictionné de Lalo Santos, influenceur gay mexicain aux milliers de followers qui fait ses premiers pas dans l’industrie du X, Pornomelancolia ne raconte rien qu’on ne sache déjà : à savoir la solitude et le vide existentiel des êtres hyperconnectés, de surcroît dans le milieu du porno. Ouvrier dans le civil, le protagoniste semble coupé de la réalité du monde et c’est sa vulnérabilité que vise le réalisateur, à l’image de ce premier plan où il s’effondre en sanglots au milieu d’une rue de Oaxaca. Si la méthode est contestable, le film témoigne néanmoins d’une judicieuse empathie dans sa manière d’aborder le monde du porno, espoir d’une manne financière pour le prolétariat, soit l’esclavagisme numérique sous couvert de liberté individuelle.


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