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Pas question d’aller piquer un roupillon dans les calanques, c’est dans les salles que ça se passait. Et Dieu sait qu’il s’en passait des choses à l’écran, a fortiori quand il ne se passait rien. De dérives en déroute, du corps collectif à l’individu solitaire, de la logorrhée systémique à la contemplation mutique, l’ensemble des films présentés dans le cadre du festival de cinéma international FIDMarseille faisait état d’un monde tiraillé par le doute et rongé par les paradoxes. Avec une tendance lourde cette année : les espoirs et les désillusions de communautés éphémères, qu’il s’agisse d’une troupe de théâtre filmée en temps réel lors d’une performance en lipsync (Ricardo Ti Che Un Film Comico de César Vayssié), d’un groupe d’apprentis danseur.ses s’enjaillant un dernier soir ensemble sur une plage (L’Île de Damien Manivel) ou d’une communauté féministe instaurée en Sardaigne (Losing Faith de Martha Mechow). Derrière l’inventivité de ces films-performances et leurs strates successives de mises en abîme se dégageait pourtant une impression de surplace, comme si le désir de refaire le monde en déconstruisant à tout crin (le genre, la narration, la structure sociétale…) finissait par se mordre la queue. Prédominant dans les trois films, le monologue intérieur sous forme de voix off faisait systématiquement rempart au groupe d’individus rassemblé à l’image. L’authentique voix collective qui aurait pu se profiler semblait alors s’éloigner au profit de lieux communs. Pêché d’orgueil que de prétendre à l’émancipation collective quand on se regarde à ce point le nombril ?



Nouvelles perspectives


Dans Nos Îles, Prix Renaud Victor, la bande de jeunes martiniquais filmée par Aliha Thalien tchatche au contraire de manière directe et ne prend pas la pose par narcissisme, mais pour s’affranchir du modèle colonial et affirmer son propre swag. En révélant l’envers de la carte postale, la réalisatrice laisse transparaître les espoirs et les doutes de cette jeunesse insulaire, tant à travers leurs histoires de cœur et de cul que dans leur débat sur l’indépendance de la Martinique, contrebalancé par un désir de rallier la France pour y poursuivre leurs études. La lucidité de leurs propos barre la route aux clichés exotiques, figurés par des plans-séquences de paysages aux couleurs irréelles, et ouvre de nouvelles perspectives aux territoires d’Outre-mer. 


Ce sont d’autres clichés exotiques, sur le versant Asie du Sud-Est, qui étaient mis à mal dans l’ahurissant Monisme de Riar Rizaldi, également coréalisateur d’un documentaire sur la scène noise locale. Tourné sur les flancs du volcan Merapi et co-écrit avec les autochtones, le film convoque d’un seul tenant le documentaire géologique, la prophétie animiste et la série B d’horreur. Dépeignant à la fois la violence des cartels paramilitaires qui contrôlent le territoire, l’axe éco-scientifique des chercheurs et la dimension mystique du volcan, le film emprunte plusieurs pistes à la fois, quitte à semer la confusion. Convoquées dans une scène de rituel qui clôt le film, les forces surnaturelles de la nature s’y confrontent à la rationalité de la science et l’on se frotte les yeux devant cette hallucination rendue film, à la croisée entre Apichatpong Weerasethakul, Lav Diaz et le fantastique indonésien kitsch des années 1980-90.


Récompensé à juste titre du Grand Prix de la compétition française, Dans le silence et dans le bruit de Clément Roussier et Hadrien Mossaz prend soin de ne jamais cloisonner ses comédiens dans un dispositif-prison, il en ouvre au contraire grand les portes et les fenêtres. Dans ce film tourné à l’occasion d’un atelier vidéo dans le parc de la clinique institutionnelle La Chesnaie, les frères réalisateurs ont laissé le soin aux patients d’incarner des personnages de fiction, même si la ligne de démarcation avec leurs affects semble toujours poreuse. Dans ces saynètes tournées en extérieur, magnifiquement photographiées, vibre avant tout un désir de partage et de joie malgré l’ascèse des conditions de vie. Intégrant en plans de coupe des images filmées au caméscope par les patients eux-mêmes, le film aborde avec une douce mélancolie ces rives de l’existence, défaites de l’autorité du réel. Dans son économie de mots et sa poésie visuelle se tricote une histoire d’amour avortée et l’espoir d’un lien renoué avec le monde.



Nos Îles © Aliha Thalien


Solitudes urbaines


C’est aussi ce lien fragile que s’emploie à filmer Bas Devos dans Here, en 16mm au ratio 5/4. On y suit le quotidien d’un ouvrier roumain embauché sur un chantier à Bruxelles, dont l’errance solitaire l’amène à faire une rencontre inattendue suivie d’une escapade dans un parc où se jouent avec beaucoup de pudeur les premiers balbutiements amoureux. La simplicité de cette rencontre entre deux êtres que tout oppose est captée avec une infinie délicatesse, dans une physionomie du gros plan qui place à rang égal êtres humains, chantiers de construction et mousses végétales. Ce biotope urbain où convergent deux âmes esseulées devient alors le terreau d’un émerveillement partagé, par-delà le déterminisme social.


La solitude augure toujours d’une rencontre à venir. Sofia foi, du Brésilien Pedro Geraldo, marche dans les pas d’une tatoueuse contrainte de quitter l’appartement qu’elle occupe. On la suit dans ses dérives diurnes et nocturnes sur le campus de São Paulo à l’affût d’une parole, en attente d’une étreinte – selon un découpage ultra-précis et un travail rigoureux sur la lumière et les sons. Un visage, un corps, une ville : il suffit de peu pour faire naître une émotion. Dans Que quelque chose vienne, Prix Georges de Beauregard, l’écrivaine Mathilde Girard s’attache d’une part au quotidien d’une jeune femme seule dans son appartement durant le confinement, et au trajet en taxi d’une seconde au retour de son hospitalisation, échangeant quelques mots avec le conducteur. Vertige hypnotique des solitudes qui s’entrecroisent et se fondent dans la nuit, en alternance avec de longs plans fixes du quartier de Belleville et Père Lachaise, où le temps s’est subitement suspendu. Dans l’attente d’un événement qui n’advient jamais, mais où la parole finit malgré tout par se libérer. 


Franchir la barrière du langage et redéfinir notre regard porté sur le monde, c’est aussi tout l’enjeu des vidéos – pop et percutantes – de l’artiste-plasticienne Laure Prouvost, dont la malice avant-gardiste venait compenser l’aridité de certaines projections. Elle était l’invitée d'honneur du festival aux côtés du réalisateur Whit Stillman, « découvreur » de Greta Gerwig. À travers une filmographie succincte – dont Metropolitan (1990) et Les derniers jours du disco (1998) tiennent le haut du pavé –, Stillman dépeint sur le ton de la comédie les affres sentimentaux de la jeunesse upper class new-yorkaise. Une rétrospective Paul Vecchiali, récemment disparu, dénotait aussi par son anti-naturalisme hérité de Fassbinder (en particulier dans le merveilleux Once More) et sa théâtralité lyrique puisée chez Grémillon, d’une singularité sans équivalent. Soit l’antithèse du documentaire expérimental ou du « cinéma-vérité » qui forment encore le gros de la sélection. Une façon pour le festival, au fonctionnement désormais collégial, de renouer avec le « récit en images » sans se plier pour autant aux conventions de l’industrie.


> FIDMarseille, du 4 au 9 juillet à Marseille

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