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Toujours aussi défricheuse, la sélection supervisée par Giulio Casadei faisait la part belle à une frange de jeunes auteurs qui ne craignent pas la radicalité. Second film de Achal Mishra, prometteur cinéaste indien de 27 ans, Dhuin (Grand Prix du Jury) saisit d’emblée par une mise en scène délestée de tout superflu, privilégiant les hors-champs et l’ellipse au forceps de la narration. Un jeune comédien de théâtre de rue qui rêve de Bollywood, sous pression financière après le confinement, voit son désir d’exil à Bombay contrarié par ses parents vieillissants dont il est contraint de s’occuper. Dans leur logement en déréliction qui jouxte une voie ferrée, la voie de la réussite semble inatteignable. Soutenu par une photographie envoûtante, le film instaure un climat de torpeur mélancolique qui vous noue les tripes. Rares sont les films d’auteurs qui se confrontent ainsi au morcellement social de leur pays et font état du gouffre qui sépare les classes modestes de l’intelligentsia culturelle. D’un côté on lutte pour sa survie et contre l’humiliation d’être pauvre, de l’autre on devise nonchalamment de Kiarostami dans le mépris de la caste inférieure.




Destins contrariés


Cette incapacité à échapper à la condition sociale se manifeste de manière plus implicite dans The Song of Rain de Tetsuichiro Tsuta, qui relate la vie au jour le jour de deux hommes menant une vie spartiate au cœur d’une région volcanique du Japon. Jin – un intellectuel citadin qui a quitté la ville pour mener une vie d’ermite dans une maison sans eau ni électricité - se contente de pratiquer la méditation, d’écrire, de boire du thé et de lire des poèmes. Son acolyte Tera, autochtone rustre et primitif, entraîne ce dernier à la pêche nocturne aux anguilles sous une pluie diluvienne. Malgré leur dissemblance, chacun se découvre complémentaire face à la nature et à la solitude qui les rassemblent. Tournée en 16mm dans un noir et blanc opaque, cette succession de plans-séquences égrène le temps qui passe au rythme d’un quotidien où chaque geste est corrélé à un besoin vital. Mais ce rapport cru à la ruralité, à revers d’un certain idéalisme fantasmé par les urbains, se teinte aussi de cruauté, comme cette scène de décapitation d’une tortue qui prend de cours aussi bien Jin que le spectateur.


Récompensée du Prix du Jury et primée auparavant à Locarno, la cinéaste suisse Lora Mure-Ravaud s’attache dans Euridice, Euridice à ressusciter le mythe d’Orphée et d’Eurydice à travers la figure charismatique de la comédienne Ondina Quadri, jouant son propre rôle. Avec son regard vert perçant et sa tignasse ébouriffée, cette dernière crève littéralement l’écran et participe en grande partie de la réussite du film. Les deux histoires d’amour qui s’inscrivent en miroir jettent un trouble durable, du fait de la ressemblance entre les deux amantes, à la fois proches et hors d’atteinte. Plongeant le réel dans les eaux troubles du surnaturel, Lora Mure-Ravaud filme la rupture comme un cheminement vers la renaissance, où le souvenir de l’être aimé reste à jamais gravé dans la chair.


Euridice, Euridice de Lora Mure-Ravaud


Utopie surnaturelle


L’intrusion du surnaturel dans la réalité la plus terne apparaissait aussi comme une brèche vers un autre monde possible, de l’excentricité surréaliste de Michel Vayde Patricia Gélise et Nicolas Deschuyteneer, film dans lequel un braqueur en cavale navigue entre la vie et la mort dans une forêt magique, jusqu’à la dérive de deux vampires tentant de rejoindre en stop Marinaleda, village communiste espagnol qui prête son titre au troisième film de Louis Séguin. L’absurdité se teintait alors de parabole politique, cultivant un anti-naturalisme aussi rafraîchissant que réjouissant. Dans Sans Regret de Carmen Leroi, c’est à la faveur d’une résidence à Caen qu’une écrivaine à succès (Julia Faure) retrouve un ancien amoureux (Emmanuel Mouret) et voit apparaître dans sa demeure les fantômes d’une vie de couple telle qu’elle aurait pu se dérouler. D’un côté comme de l’autre, la morosité du quotidien reprend le dessus et la vie semble bégayer sans que les désirs parviennent à s’accorder. Amour impossible encore dans Le soleil dort de Pablo Dury, qui relate la naissance d’une relation charnelle à l’intérieur d’un jeu vidéo et l’impossibilité de sa concrétisation dans le monde réel. Dans l’obscurité d’un bois où les amants virtuels se sont donnés pour la première fois rendez-vous, la fable générationnelle croise alors la chanson de geste.



 Chez Anton Bialas, l’horizon semble plus bouché encore, car les itinéraires rapiécés des trois personnages de Raie Manta - une réfugiée Kazakh, un Ghost Rider tête brûlée, un poète néo-situ dépressif - ne convergent jamais. À l’inverse, le climat d’oppression généralisé - le film se déroule pendant les manifestations à Paris - les entraîne vers des opérations kamikazes plutôt que vers l’espérance d’un élan collectif. Entre romantisme noir et esthétique de l’insurrection, ce triptyque (comme l’était déjà Derrière nos yeux, sur un versant documentaire) dresse un constat sans appel de la société actuelle. La contradiction émane néanmoins de son formalisme glacé, qui doit davantage à l’univers « radical chic » de la mode qu’à celui des gilets jaunes. Enfin, à mi-chemin entre le documentaire scientifique et la science-fiction, le film expérimental et l’essai poétique, Last Things de Deborah Stratman s’éloigne de l’écriture traditionnelle pour entrecroiser en voix off plusieurs hypothèses sur l’extinction de la civilisation, citations de Roger Caillois et de J.H. Rosny à l’appui. Deborah Stratman se fait la témoin d’une archéologie spéculative, où le minéral aurait pris la relève du biologique. Une fois que nous aurons disparu, les pierres seront-elles les ultimes gardiennes de la vie sur Terre ?

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