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Dans Tombouctou déjà vu, créé en 2015 pour le festival d'Avignon, Emmanuelle Vo-Dinh sondait les savoirs, les codes et les conventions de la création d’une grande pièce en collectif. Elle le faisait en compagnie d'interprètes chevronnés et il en découla une forme très dense, un rien labyrinthique, en tout cas énigmatique.

Au premier coup d'œil, Simon Says peut sembler diamétralement opposé. Ses quatre interprètes sont très jeunes. Ses lignes très claires. Son humeur avant tout vive et réjouissante. Il n'est pourtant pas sûr que Simon Says n'ait rien en commun avec Tombouctou déjà vu. On peut en décrypter le titre. Simon rappelle un jeu électronique fort répandu. Or « Simon Says ». En français : Simon dit. Ce qui rappelle un autre jeu, plus rustique : Jacques a dit.

Bref, pour faire pièce, Emmanuelle Vo-Dinh a choisi de dérouler, encore une fois, une logique de dispositif collectif, où l'observation de règles se traduit par des effets entre partenaires, des déductions, des reconfigurations, des implications. La chorégraphe est d'ailleurs à la console pour énoncer les consignes qui articulent les segments de cette machine à produire de la performance.

N'allons donc pas fouiller trop loin dans les concepts. Emmanuelle Vo-Dinh nous l'épargne d'elle-même. Le principe de Simon Says fut celui qui convenait pour animer efficacement un workshop qu'une compagnie de Hong Kong l'avait invitée à donner. Comment s'entendre et performer, malgré le barrage de la langue et la brièveté du temps de partage proposé ? Poser les règles d'un jeu permettait aussi bien de fixer un cadre que générer une dynamique. Cela fonctionna si bien que la rencontre s'approfondit au point d'évoluer vers la production d'une pièce véritable, avec quatre des interprètes Hongkongais les plus convaincus et convaincants.

Ils font leur entrée sur un plateau, où tout un réseau de traits colorés, continus ou hachurés, dessinent au sol ce qui pourrait être un tapis de jeu de société. Des espaces très clairs s'en trouvent désignés. Et très vite ces danseurs composent une architecture de groupe très dessinée, dans un agencement de corps articulés, comme emboîtés, quoique ne se touchant pas, sur le qui-vive, prêts à enclencher un glissement kaléidoscopique vers un autre arrêt sur image.

Avouons-le, on a craint, au début, que cela puisse rester un peu rase-mottes, sur une bande-son issue de la culture populaire low-cost, mais en même temps barbant, relevant de principes compositionnels un rien mécaniques et abstraits. Mais c'était ne pas faire confiance à cette dimension toujours déjà performative qui imprègne toute interprétation en danse, quand elle veut bien s'en saisir.

Puisque règles du jeu il y a, tout va dépendre de ce qu'on va en faire. Les jeunes danseurs de Hong Kong sont rompus à une exécution très efficace de motifs virtuoses, à la demande. On ne sait trop s'il faut y voir avant tout la marque très académique des formations en danse, ou bien des conditions d'exercice de leur profession, privée de soutiens, conditionnée à faire vite et bien, pour réduire les coûts et partir se consacrer à d'autres activités, elles pourvoyeuses de ressources. En tout cas, ce n'est pas que chez les danseur.se.s de l'ancien comptoir britannique, mais plus largement en Asie, que l'on retrouve ce brio d'exécution, qui laisse dubitatif sur le fond et le sens.

Sur ce fond aura opéré l'intelligence de la rencontre, donc de l'interprétation. Emmanuelle Vo-Dinh raconte comment elle sera parvenue à lever les inhibitions, convaincre les membres de cette équipe de reconnaître leur fatigue, oser leurs rébellions, suggérer leurs inventions, s'afficher en eux-mêmes sans que cela tourne à des rôles d'emprunt. Puisque ces jeunes gens sont rompus à l'application de règles, il s'est agi que celle-là ne se confine pas au respect de celles-ci, mais en fasse matière à interrogations, bifurcations, par grandes rasades d'improvisation. Comme dans un jeu.

C'est ce qui se retrouve encore devant les spectateurs, gratifiés d'un spectacle de la mobilité, de la démultiplication et de l'interchangeabilité. Les motifs abondent, qu'on croit voir surgir de mémoires picturales, guerrières, ou populaires. L'élaboration complexe tient en haleine, qu'émaillent les petits risques, les entorses à la consigne, les interjections entre partenaires, les poses, les relances, avec une texture générale de pâte feuilletée, d'ouverture qui se tient, d'aisance cadrée. Parfois l'éparpillement guette. Toujours la belle écoute sous-tend l'action.

Au-delà du plaisant, Simon Says ensorcelle par sa capacité à composer le grand rythme des rapprochements et distanciations, à distiller un étourdissement de la prolifération (quoique pouvant tendre à obstruer plutôt qu'ouvrir la dramaturgie vers la fin). Voilà des vertus stimulantes, optimisantes, alors qu'œuvre pourtant un fond obstiné d'inintelligibilité du langage.

 

> Simon Says de Emmanuelle Vo-Dinh spectacle vu (en création) le 25 janvier au Phare, Le Havre (festival Pharenheit)

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