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D’où vient L’invention, la pièce que vous présentez au Salon de Montrouge – et seulement la troisième que vous avez produite depuis votre sortie des Beaux-Arts de Paris en 2011 ? S’inscrit-elle dans une continuité ou marque-t-elle une rupture ?

« Je crois que la question qui traverse mon travail depuis mes débuts est la suivante : comment associer plusieurs événements ou réalités qui a priori ne fonctionnent pas ensemble ? D’où mon goût pour le vestige et son ambiguïté : une donnée à la fois concrète, mais qui réclame aussi une interprétation. Et dès qu’il y a interprétation, il y a fiction.

La pièce que j’avais produite à ma sortie des Beaux-Arts, La colline du diable, sous forme de dessin, de maquette et de film, posait une question principale : comment se construit l’histoire ?

Avec la suivante, Green Out, à partir de la découverte d’une fleur tropicale et de sa transformation génétique pour rendre possible son implantation en Europe, il s’agissait  de proposer une allégorie de la quête du paradis perdu – avec, en filigrane, une réflexion sur le kitsch, considéré comme l’histoire d’une copie qui dégénère ensuite à force d’avatars.

Avec L’invention, l’idée c’est de voir comment une rêverie peut aussi communiquer des connaissances et les faire dialoguer entre elles.

 

Mais quelle forme cette « invention » prend-elle, au juste ?

« Elle prend la forme d’une table de travail sur laquelle un infographiste monte un film en images de synthèse, et dans lequel il construit et détruit un monde en cinq minutes. Mais inopinément, une question lui vient : à quoi sont dues les formes qui nous entourent ? Si bien qu’en travaillant à la reproduction numérique du mouvement des mains de ces personnages – la chose la plus difficile à reproduire en images de synthèses, il part dans une rêverie : quels sont dans le monde les autres codes susceptibles de reproduire des formes, visuelles ou musicales ? L’installation livre alors au spectateur le code secret qui permet de relier des formes éparses, mais décisives dans l’histoire de l’art ou des sciences – le flocon de neige à partir duquel Kepler élabore les formes géométriques qui construisent l’univers, la théorie d’origine pythagoricienne de l’ « harmonie des sphères », une partition du Miserere gardée secrète par le Vatican ou... les gestes des pilotes de la Patrouille de France répétant leurs figures de vol !

 

Cette référence à la Patrouille de France semble un peu décalée : quel est son rapport avec cette histoire des formes reconstituée comme par inadvertance par votre infographiste ?

« En fait, ce projet est parti d’un reportage consacré à la Patrouille de France que j’avais vu une veille de 14 Juillet. On voyait les pilotes effectuer ensemble la « musique », c’est-à- dire la répétition des gestes de pilotage qu’ils accompliraient ensuite avec, aux commandes, leur instructeur qui ponctuait cet entraînement de formules codées, ce qui donnait à l’ensemble l’allure d’un rite au sein d’une société secrète (rires).

 

L’invention qui comprend trois vidéos en images de synthèse, la maquette en mouvement d’un jardin et un miroir magique est quand même une installation multimédia assez sophistiquée. Pour oser produire une telle œuvre-monde dans un Salon où dominent plutôt des pièces graphiques, low tech ou / et post-conceptuelles, Elsa Fauconnet, n’êtes-vous pas un peu mégalo ?

(Rires.) « C’est vrai que c’est une grosse installation et que j’ai disposé d’un mode de production dont les autres n’ont pas forcément eu la chance de bénéficier... Mais c’est une pièce que j’ai produite lors de ma deuxième année au Fresnoy. Or cette école fonctionne vraiment  selon un mode de production semblable à celui de l’industrie cinématographique – avec l’écriture d’un scénario assorti d’un budget prévisionnel qui, une fois validés, débouchent sur un tournage, avant de finir avec la post-production. Tout doit être calculé et budgeté, programmé en permanence... Mais j’ai quand même essayé de résister un peu à ce processus, en conservant un aspect « brut » à mon travail.

 

L’invention, votre titre, pourrait lui aussi être mal interprété, non ?

« Il renvoie en réalité au livre d’Adolfo Bioy Casarès, L’invention de Morel. Un personnage pourchassé se réfugie dans une île où se trouvent des personnages avec lesquels il a du mal à interagir. Peu à peu, il se rend compte que cette île est une machine fantastique qui génère des situations et des images virtuelles. D’où la résonance avec les arts numériques et l’idée d’une machine à fabriquer des mondes.

Mais cette histoire de création d’un monde est aussi une blague. Cela reste une invention au sens de fantaisie imaginaire. Vouloir expliquer le monde est fatalement un échec : cela rend forcément ce projet plus léger !

 

En même temps, le récit de cet infographiste qui, parti d’une opération technique d’encodage, dérive jusqu’à établir des analogies entre quelques-uns des moments-clés de l’histoire de l’art et des sciences, ne participe-t-il pas d’une volonté de réenchantement du numérique, à rebours d’un certain discours actuel selon lequel il nous couperait du réel et ferait courir la culture à sa perte ?

« Effectivement, je ne vois pas du tout le numérique comme une catastrophe pour la culture ou pour l’art ! En revanche, ce qui m’ennuie dans le numérique, c’est la volonté de divertissement à tout prix et l’obligation d’interactivité sous le prétexte de rendre les choses plus accessibles ou plus directes. Je voudrais que mon installation demande un peu de réflexion, qu’elle ne soit pas seulement intuitive ou ludique : qu’elle suscite une appropriation libre, personnelle et active des visiteurs. »

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